Ce que les écrans font aux enfants

 


Bernard Stiegler, & Serge Tisseron, Faut-il interdire les écrans aux enfants ? Ed. Mordicus, 2009, 100 p.


En France les enfants = 1200 h devant les écrans contre 900 à l'école (dont une part non négligeable devant les écrans : 66 % des professeurs déclarent les avoir utilisés.


Tisseron

Voir les âges de développement :

  • avant 3 ans pas d'écran car nuisible : formate le cerveau, empêche le développement psychomoteur (lequel nécessite les 5 sens) car la télévision n'est pas une personne c'est une « non-relation » (19).

  • avant 5 ans pas plus d'une heure par jour car il faut qu'il ait d'autres activités ; et même il vaut mieux un DVD qu'il repasse de manière à ce qu'il comprenne progressivement le scénario.

  • Pas de console avant 6 ans : avant, il faut se servir de ses 10 doigts pour développer l'appréhension des trois dimensions de l'espace qui a des répercussions sur l'intelligence future (cf les nouveaux informaticiens sont moins aptes : « c'est avec les mains qu'on apprend à penser » (20)).

  • à partir de 9 ans début du surf à condition d'être accompagné car la toile brouille les repères entre l'intime et le publique.

  • 12 ans : ils y vont seuls, mais pas tout le temps ; il ne faut pas développer un rapport solitaire à l'écran, car c'est aussi un support de communication pour des gens présents ensemble. Donc à l'école il faudrait alternance papier/écran, seul/groupe, et utilisation à des fins d'apprentissage d'instruments déjà utilisés par ailleurs (MP3/4, téléphones, consoles de jeu)

  • 15 ans : avec le brevet le téléphone portable quand l'enfant passe un cap psychologique. Contre ce que pensent les parents, le portable permet aux enfants de s'éloigner d'eux.

A propos de l'équilibre entre interdiction et responsabilisation : il a toujours été à inventer. Ce qui tue l'enfant c'est n'est pas ni l'un ni l'autre, mais l'indifférence. (23) De façon générale les jeunes ont besoin de s'affronter à une autorité pour se structurer, mais celle-ci aujourd'hui doit se justifier. En grandissant la négociation fait partie des apprentissages, en revanche une fois le contrat accepté « il faut s'y tenir et l'appliquer (…) sans état d'âme. » Sinon la parole adulte perd toute sa valeur.

On peut gratifier un enfant qui limite son temps devant les écrans et c'est beaucoup plus productif.

Il faut parler avec l'enfant de ce qu'on voit, de qu'il voit. Mais ne pas manger en même temps ! Être actif c'est aussi choisir ses programmes, par exemple avec des tickets de télévision correspondant à une ½ ou 1 h que l'enfant utilise à sa guise. Des expériences montrent qu'une diminution du temps de télévision diminue la violence verbale et physique.

Risque d'addiction : distinguer adultes/enfants car les circuits neurologiques qui permettent le contrôle des impulsions ne se font qu'à la fin de l'adolescence, et c'est la perte de ce contrôle que désigne l'addiction. Il faut plutôt parler d'usage excessif. Mais le quantitatif ne suffit pas. Les adolescents expérimentent de nouveaux types de relations, dont les jeux sont les révélateurs.

Exemple d'un adolescent de 15 ans passant 40 h sur world of warcraft, mais dont les résultats scolaires sont très bons. Néanmoins programme de réduction à 25 h, dont les parents doivent être garants car « à cet âge le contrôle des impulsions est très difficile. » (33) D'autre part, ne pas jouer à des jeux qui ne sont pas de son âge. Faire attention à la perte des relations sociales, et surtout à la chute des résultats scolaires. Mais les gros joueurs peuvent aussi se projeter professionnellement dans cette branche...

Dans la culture des écrans, c'est le règne du « tout à la fois » ce qui désarçonne des parents ayant grandi dans le « ou bien » : c'est une culture de la juxtaposition et non pas de l'exclusion. On lit donc autrement. Le statut des images change : se mêlent constamment le « vrai » et le « fictif », ce qui est source d'angoisse, chacun étant tenté de chercher une communauté se portant garante de la vérité de ce qu'il a envie de croire vrai.

Le piège d'internet est de mêler le privé (ou l'intime) et le public, et de ne pas toujours montrer que l'information relève d'un point de vue, alors que pour les jeunes ce double apprentissage est long.

Avec internet, moins d'effet de la culpabilité (cf la loi du père) que de la honte, et donc de la reconnaissance par le groupe.

Il y a une recherche constante à travers la valorisation de l'expérience de soi (cf Twitter) de ne pas être oublié, et donc de ne pas rester seul.

Si les performances en orthographe ne cessent de baisser, en revanche celles relatives au QI visuel (par exemple la capacité à repérer 2 images semblables parmi d'autres) augmente.

Les enfants sont multitâches, avec pas mal de déchet : mais période de transition (cf analogie avec la lecture à haute voix).

Impact des images violentes : très vraisemblable, d'autant plus que l'enfant grandit dans une famille « violente ».

« L'omniprésence des images agressives et sexuelles a pour conséquence d'empêcher le refoulement. » Le phénomène de sublimation consistant à déplacer ses pulsions de désir, fonctionne moins bien dans une société où « la satisfaction immédiate des désirs érotiques et agressifs est constamment mise en scène dans les médias. » (56)

Donc nécessité de règles explicites car les jeunes sont incapables de réguler leur consommation.


Stiegler

Le temps passé devant la télévision affecte tous les enfants quelle que soit la classe sociale, mais plus particulièrement les pauvres. Elle court-circuite de plus en plus les parents, les grands-parents et le processus d'identification par lequel l'appareil juvénile se forme dans cette relation inter-générationnelle. (63) C'est l'ère du psycho-pouvoir par lequel le marketing prend le contrôle des comportements de la jeunesse. Avec la multiplication des écrans on assiste à une « véritable dispersion de l'attention. » (64) Exemple significatif avec la Xbox ou skyrock qui jouent sur la convergence de différents canaux. Mais ces nouveaux types de médias pourraient aussi être utilisés de manière à approfondir l'attention et les capacités des enfants. Mais dans l'ensemble la production ne va pas dans ce sens, même si les spectateurs déclarent majoritairement ne pas aimer la télévision qu'ils regardent, et qu'ils continuent de voir que parce qu'ils sont devenus dépendants (67) = désert affectif, misère familiale : selon une étude, le temps consacré à parler en famille est passé aux USA de 1h12 à 34 mn par semaine entre 1981 et 1997.

Des pédopsychiatres ont montré que la consommation audiovisuelle précoce induit chez l'enfant une modification des circuits synaptiques qui a pour conséquence un déficit attentionnel. (69-70 : développement physiologique)

Par la suite c'est vrai aussi : plus on s'expose à la télévision, plus on est sujet à la dépression ( télévision : plaisir momentané suivi de sensations de regrets (73))

La télévision est en elle même néfaste pour les enfants car elle induit « passivité, perte de motricité et perte des relations d'attachement intergénérationnelles. » (76)

« La captation massive et constante de l'attention, en détruisant les relations interindividuelles, détruit les structures et les processus par lesquels la formation d'un réseau symbolique entre les individus permet de transformer les pulsions (…) en investissements sociaux c'est-à-dire en énergie libidinale pour parler comme Freud – ce que Lacan appelle le désir. Les consommateurs désirent de moins en moins, mais dépendent de plus en plus de besoins artificiellement produits, qui sollicitent toujours plus leurs comportements pulsionnels aux dépens de leur libido. C'est ainsi que le spectateur tend à devenir dépressif (la dépression est précisément une perte de désir) et que les médias deviennent eux-mêmes massivement pulsionnels et populistes : ils cherchent à tirer le « temps de cerveau disponible » vers le bas, c'est-à-dire qu'ils l'encouragent à suivre une pente naturelle, contre laquelle lutte toute élévation culturelle et toute éducation. » (77)

Les médias = ce que les grecs appellent des pharmaka. Un pharmakon est une drogue, un remède aussi bien qu'un poison. Platon prend l'exemple de l'écriture qui fait perdre la mémoire à ceux qui ne savent pas la pratiquer, et permet de vendre des idées toutes faites en répétant des clichés.

Les 5 premières années de la vie sont primordiales pour tous les comportements à venir puisque c'est là que se construit l'appareil psychique à travers l'identification primaire (aux parents), sur laquelle se greffera toutes les identifications secondaires à venir, entre lesquelles elle lui servira d'arbitre en cas de conflit. Le marketing l'a bien compris en utilisant les médias le plus tôt possible dans la vie infantile pour court-circuiter le processus d'identification primaire, et le transférer vers les programmes, eux-mêmes conformes aux intérêts du consumérisme, et parfois truffés de publicité clandestine. (84)

Et la question ne peut être tranchée qu'au niveau des États. Sachant que « l'éducateur est celui qui apprend à celui qu'il élève ainsi à trouver plus de plaisir dans le désir que dans la pulsion. » (89) Mais chacun pouvant être amené à régresser, le psycho-pouvoir exploite cette tendance.

Une des grandes différences entre les jeux vidéos et les jeux de rôles qu'on s'invente (cf jeux dans les bois par exemple), c'est que dans le second cas, précisément, on construit ses propres règles de jeu, alors que dans le premier les industriels attendent un retour sur investissement. Il faudrait faire des jeux basés sur l'attention et non la pulsion.

L'attention a vraiment baissé : entre 1939 et 2009, sur le même protocole, elle passe de 15 à 5 mn chez des enfants (94). « L'école va mal avant tout parce que les enfants n'ont plus les capacités de concentration requises. » (94)

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