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La dénazification en question

  Harald Jähner, Le temps des loups. L'Allemagne et les Allemands (1945-1955), Actes Sud, 2024, 528 p. (epub) « La Shoah joua dans la conscience de la plupart des Allemands de après-guerre un rôle tellement mineur qu'on pourrait en être choqué. Certains étaient certes conscients des crimes commis sur le front de l'Est et reconnaissaient une sorte de culpabilité fondamentale liée au fait que l'Allemagne avait déclaré la guerre, mais l'assassinat de millions de juifs allemand européens ne trouvait aucune place dans la pensée et la sensibilité.Très rares furent ceux qui l’évoquèrent publiquement, à l'instar du philosophe Karl Jasper. Les juifs n'étaient même pas mentionnés explicitement dans les reconnaissances de culpabilité des Églises protestantes et catholiques, qui firent l'objet de longue discussions. » (15) Sans doute que « l'instinct de survie élimine les sentiments de culpabilité ». (16) « Bien, que des livres comme Le journal d'Anne Frank

Aurélie Valognes : L’envol

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  Aurélie Valognes, L’envol, Fayard, 2023 (epub), 258 p.    Les bons sentiments ne font pas forcément de la bonne littérature. Si l’auteure en matière de transclasse sait de quoi elle parle, son propos sur la mère dépassée par sa fille ne tient pas la route. La faute d’abord à un problème de statut : chacune à tour de rôle prend la parole, mais on ignore si la fille exprime une pensée d’enfant ou d’adulte se regardant. Dans le premier cas, celle-ci est nulle et non avenue tant l’enfant paraît dépasser sa mère de la tête et des épaules. Dans le second cas c’est un peu la même chose, puisqu’elle se prête une maturité improbable. A donc vouloir faire de son histoire quelque chose de démonstratif, elle tombe dans la caricature. Certes elle retranscrit avec une certaine justesse sa découverte du milieu des grandes écoles dans laquelle la consonance des noms de famille ne montre aucune présence de double culture : « les de machins se succèdent, et quand ce n'est plus le cas, ce sont des

François-Henri Désérable : Un certain M. Piekielny

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  François-Henri Désérable , Un certain M. Piekielny, Gallimard, 2017, 300 p. (epub) Il s’agit aussi d’une auto-fiction sous la forme d’une enquête à propos de ce personnage surgissant dans La promesse de l’aube de Romain Gary, livre qui se voulait une sorte d’autobiographie en forme d’hommage à la mère de l’écrivain. Celui-ci aurait juré de prononc er à chaque fois que c’était possible le nom de Piek i elny afin qu’« on » ne l’oublie pas, car il était mort à Auschwitz. S’ensuit une sorte de va-et-vient entre la vie de l’auteur et son enquête, écrite un peu « à la manière de », avec ici aussi un récit volontairement désarticulé du point de vue chronologique, et ici aussi quelque trait d’humour comme ce récit de l’entrevue de Gary avec Kennedy et sa femme Jackie. Celle-ci souffle le nom d'Albert Camus, que le président recherchait, et elle ajoute : « merci qui ? Merci Jacky. Et Michel, continue Gary, Michel Gallimard, le neveu de Gaston, c'est lui qui tenait l

Romain Gary : La Promesse de l'aube

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  Romain Gary, La Promesse de l'aube , Gallimard, 1960 (epub)      On peur ranger ce livre dans le genre des auto-fictions. L’histoire ne couvre qu’une partie de la vie de l’auteur, celle qui le lie sa mère. Car c’est sans doute l’argument du livre que de vouloir rendre hommage à celle-ci, à son courage et à sa volonté, et surtout à l’amour qu’elle voue à sa progéniture. Lui-même est très conscient de ce « cordon ombilical » non coupé, mais qui lui transmet une force dans toutes les épreuves qu’il traverse. Cette conscience se traduit par un humour constant, cet art littéraire pour narrer d es situations avec beaucoup d’auto-dérision, en en retournant le sens. Il y a ainsi beaucoup de cènes savoureuses comme ce mariage « manqué » avec une polonaise alors que la rencontre n’a duré qu’une demi-heure. Q uand il revoit des années après cette femme, et qu’ il constate qu'elle a neuf enfants, que dans la bibliothèque du foyer ne trône que les aventures des Pieds nickelés , il a a

Socio-genèse du talent

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  Samah Karaki, Le talent est une fiction, Jean-Claude Lattès, 2023, 305 p. Après que les valeurs aristocratique fondées sur le privilège de la naissance et sur la hiérarchie des dignité ont disparu, un nouveau principe émerge, « les talents comme les lumières deviendront le patrimoine commun de la société » (Condorcet). (Cité page 33) La déclaration des droits de l'homme prévoit, ainsi que les citoyens « sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». La vertu se référant aux efforts individuels et le talent aux dons naturels. Le mot talent désigne des « dispositions et aptitudes naturelles pour certaines choses », selon la définition de l'époque. (33) Idée pourtant, que le talent ou le génie n'existent pas à l'état pur. Edison, inventeur de l'ampoule, n'a pas réalisé son invention dans un flash d'inspiration, il n'a fait qu'améli

Les formes culturelles du capitalisme

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Frédéric Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, éditions des Beaux-Arts de Paris, 2007 (1991), 607 p. Introduction Postmodernisme : processus de modernisation achevée, la nature éliminée. « C'est un monde plus pleinement humain que l'ancien, mais un monde dans lequel la « culture » est devenue une véritable « seconde nature ». (16) C'est une esthétisation de la réalité. Le modernisme : critique de la marchandise, mais tentative pour qu'elle se transcende. Le postmodernisme : consommation de la pure marchandisation comme processus. Hypertrophie du présent, « comme si notre manque total de mémoire du passé, s’épuisait lui-même dans la contemplation hébétée mais fascinée d'un présent schizophrène, qui est, pratiquement par définition, incomparable. » (19) Idée du « capitalisme tardif » naît avec l'école de Francfort et a pour synonyme « société administrée », mais avec une différence par rapport à l'approche de Max Weber, qui