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Affichage des articles du février, 2023

Elsa Osorio : Luz ou le temps sauvage

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  Elsa Osorio, Luz ou le temps sauvage , Métailié (Points), 2000 (1998), 473 p. Livre sur la mémoire, celle des années de dictature argentine appréhendées sous l'angle des enfants enlevés à leur mère. La narration, complexe car polyphonique, est d'abord déroutante : on peine à savoir qui s'exprime, et en quelle année, car s'entrecroisent sans cesse des je et des il qui ne sont pas les mêmes, avec des insertions d'une pensée des uns ou des autres dans le récit, lui-même non linéaire. Mais c'est cette construction ambitieuse qui restitue pleinement les points de vue multiples sur une séquence historique dramatique pour un grand nombre, y compris pour les bénéficiaires comme l'indique de le personnage d'Edouardo, lequel a obtenu avec sa femme Mariana, et grâce à l'appui de son beau-père un militaire au service du régime, d'un enfant, une Luz qui est la narratrice principale (mais on le ne sait pas d’emblée). Le livre raconte donc un

Une trajectoire sociale inattendue

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  Norbert Alter, Sans classe ni place. L'improbable histoire d'un garçon venu de nulle part , Puf (epub), 2022, 207 p. Biographie, mais aussi dialogue, voire autofiction, ce livre est le fruit d'un long compagnonnage entre le personnage principal (dénommé Pierre) et celui qui raconte sa vie. Objectivement, la vie du dénommé Pierre est atypique à tous points de vue puisque parti de moins que rien il devient professeur d'Université. Mais cette particularité est renforcée par le mode de narration qui empreinte plus au roman qu'à l'analyse sociologique, réduite à un sociologisme : « Et puis, son destin échappe aux idées simples, du sociologisme , selon lequel, tout s'expliquerait par la place, la classe, la catégorie et le contrôle social. Il convainc que les individus ne sont pas que « les marionnettes de l'histoire ». » (9) Son père fait régulièrement des séjours en prison, et sa mère s'occupe à peine de lui : « ses parents ne font pas

Le devenir social : l'explication libérale

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  Bronner Gérald, Les origines . Pourquoi devient-on qu'il en est ? , Éditions Autrement, 2023, 200 p. On peine en lisant ce livre à y trouver une architecture conceptuelle. Toutes les explications sont mises au même niveau, le biologique et le social, la socialisation primaire (la famille) et la socialisation secondaire (les amis), les causes externes et les motivations internes. D'ailleurs, à bien y regarder, l'auteur fait la part belle à la responsabilité individuelle, rehaussant ainsi l'idéal (si tant est que ç'en est un) méritocratique. On se demande même si l'auteur ne partage pas l'idée au fond que chacun n'a que ce qu'il mérite. Et pour un sociologue, il a plus souvent recours aux travaux de la psychologie comportementaliste (américaine) qu'à ceux de ses confrères. Il commence par minimiser la place du passé dans la constitution de ce qu'on est. Cette critique s'articule avec celle du dolorisme qu'il pointe da

Le témoignage d'un sociologue nantais sur sa trajectoire

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  Gilles Moreau, S'asseoir et se regarder passer. Itinéraire(s) d'un sociologue de province , La dispute 2022, 199 p. Voir sa vie comme la résultante d'une triple action : socialisation dans un milieu social d'origine et scolarisation, croyances et mouvements sociaux encadrant l'époque et la génération d'appartenance, les politiques publiques et les interactions que l'histoire sociale offre et dont on se saisit ou pas. Cette idée de génération laisse supposer à la suite de Gérard Noiriel que l'espace des possibles s'est resserré pour les enfants issus des couches populaires. L'auteur annonce un livre « insolite, biscornu voir iconoclaste car alliage de récit et de sociologie » (18).  Socialisation Père garde champêtre, mère au foyer. Abonnement à Sélection du reader's digest . Investissement dans l'encyclopédie tout l'univers. (24) Un article paru sur l'ethnographie des paysans fut pour lui et d'une violenc

Sally Rooney : Normal People

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  Sally Rooney, Normal People , L'Olivier, 2021, 204 p. (epub) Si voir une adaptation au cinéma après avoir lu le livre procure généralement de la déception, qu'en est-il du mouvement inverse ? Les personnages, les décors ont déjà une image, le rythme lui-même est présent avant même la lecture. C'est sans doute pour cela qu'il faut un laps de temps pour se détacher de cet imaginaire emmagasiné et plonger véritablement dans le livre. Car au début, si on retrouve les individus et le déroulé de l'histoire, le style un peu haché et minimaliste déroute car ne semble pas restituer la sensibilité exprimée par les deux jeunes acteurs de la série (cf Normal people avec Paul Mescal et Daisy Edgar-Jones). Pourtant, au fur et à mesure qu'on suit les vicissitudes de cette relation amicale-amoureuse, on adhère à cette façon de faire qui ne prend pas partie et donne aux êtres leur liberté d'action. Un bon livre donc.