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Affichage des articles du juin, 2022

Analyse d'un chef d'oeuvre d'Alfred Hitchcock

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  Jean-Pierre Esquenazi, Vertigo , CNRS Éditions, 2011, 351 p. Qu'est-ce que l'invention ? « Un objet inventif est capable d'offrir une paraphrase d'un milieu réel qui peut, pour un public donné, découvrir ce dernier d'une façon inédite. » (22) Ainsi Hitchcock paraphrase les lois d'Hollywood aussi crûment qu'il était possible en 1957. Il est à la fois représentant de la pruderie victorienne, de la fascination expressionniste pour l'ombre et la lumière, du capitalisme le plus brutal, de la société freudienne, de la pensée tayloriste, etc. Ainsi il y a fondamentalement deux styles hollywoodiens : « Le premier induit un espace théâtral, centripète et plat, présentant des attractions, des numéros cinématographiques, filmé depuis un point de vue frontal, omniscient et objectif. La temporalité y est celle de l'actualité ; ne compte que le plaisir actuel de l'exhibition des artistes. Et l'enchaînement des numéros ne construit qu'une sér

Observations d'un supermarché

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  Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour , Raconter la vie, Folio, 2014, 71 p. Petit livre plein de finesse, décrivant à partir d'observations réalisées dans le magasin Auchan mais aussi de souvenirs personnels, l'univers de la consommation à l'ère libérale. Elle dit que finalement peu d'auteurs ont utilisé ce cadre pour une fiction comme s'il faisait partie des zones invisibles dès lors que celles-ci sont occupées massivement par des femmes, alors qu'on y retrouve toutes couches de la société et cela, c'est unique. Une approche donc sociologique qui montre aussi objectivement cet univers : appartenant à une des familles les plus riches de France, ou encore dans lequel les caissières passent 3000 articles à l'heure.

Zola : Le rêve

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  Émile Zola , Le rêve, Presse de la Renaissance, 1980 (1888), 318 p. Angélique abandonnée par ses parents est « adoptée » par Hubert et Hubertine qui ont vu leur vie endeuillée par la mort de leur enfant. Ils voient donc dans ce surgissement la possibilité d'une « seconde chance ». Angélique se berce d'idées mystiques puisées dans les histoires légendaires et saintes. Elle attend la venue du prince charmant. Qui viendra ! Mais le père, un prêtre qui a endossé la prêtrise à la suite de la mort en couches de sa femme adorée, s’oppose au bonheur de son fils auquel il n'a pas pardonné son malheur. Il le destine à un mariage avec une personne de son rang. Quand il accepte enfin d'unir les jeunes amoureux, « la messe est dite » : Angélique meurt du baiser de l'épousé ! On le voit, beaucoup de grandiloquence et de mysticisme dans cet épisode peut-être le plus faible de la série. A moins qu'on puisse y lire en creux une allusion à l'hystérie féminine telle qu&

Zola : La terre

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  Émile Zola , La terre, LGF, 1984 (1887), 577 p. Comme le titre l'indique c'est au milieu paysan que Zola s'attaque avec ce roman. S'attaque car sous sa plume les paysans (pas plus que les bourgeois, les nobles, les ouvriers, les curés dans d'autres épisodes de la série...) ne sont pas toujours à leur avantage. S'ils sont près de la terre, et avec elle, des cycles naturels, les saisons, de la vie végétale ou animale (les bêtes sont anthropomorphisées), la terre représente en même temps la propriété, et donc l'argent. Le paysan est donc près de ses sous, et une bonne partie de l'histoire en montre tous les travers. En effet, on suit une famille qui se déchire dans la répartition de la terre du père (Fouan) entre ses enfants qui s'avèrent tous plus monstrueux les uns que les autres : Buteau, Jésus-Christ et Fanny. Chacun à sa façon arnaque le père pour récupérer son bien. Les alliances conjugales bien que très marquées ne sont d'ailleurs qu'

Zola : L’œuvre

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  Émile Zola, L’œuvre LGF, 1985 (1885), 477 p. Entièrement tourné vers le travail et la vie du peintre, ce roman est peut-être le plus statique de la série car il vise à considérer de l'intérieur les notions d'inspiration artistique. Cependant, comme pour les autres volumes, Zola restitue les enjeux propres de son époque autour de la peinture avec l'avènement très décrié du mouvement impressionniste. Claude Lantier que l'on avait déjà vu passer dans Le ventre de Paris constitue cette fois le personnage principal de cette histoire dramatique. Dramatique car si les débuts sont enthousiastes avec la créativité comme fer de lance d'une vie heureuse (bande de copains peintres, amour et mariage, naissance), cela tourne rapidement au cauchemar face à l'incompréhension manifeste de ses contemporains devant ses choix artistiques. Entièrement englouti par son désir pictural (on peut y voir une sorte de sublimation au sens freudien : sa femme parle de la peinture comm

Zola : Germinal

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  Émile Zola, Germinal , Livre de Poche, 1978 (1884), 503 p. Un des plus connu de la série, sans doute à cause des adaptations cinématographiques. Il est d'une tonalité bien plus grave que tous les autres. L'ironie et même la férocité qui transparaissent surtout quand Zola aborde les milieux bourgeois et/ou aristocrates sont quasiment absents si ce n'est précisément à propos des propriétaires ou gérants des mines. Car l'histoire ici porte sur les gueules noires, histoire emblématique et quasi mythique de l'industrialisation du 19e siècle. Zola, comme a son habitude, est au plus près des populations qu'il décrit : que ce soit au travail, à la maison dans les corons, ou au bistrot, on sent une description très informée des réalités de l'époque. Celles-ci font le cadre et l'argument du roman. Étienne Lantier (fils de Gervaise), sans travail, débarque dans cet univers de misère : Maheu dit alors, « on pourrait être comme ça... Faut pas se plaindre, tous n&

Genèse du processus de civilisation en occident

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  Norbert Elias, La Civilisation des mœurs , Calmann-Lévy, 1973, 342 p. IIe partie : Comment peut-on être civilisé ? C’est entre 1525 et 1550 que le terme de civilité a pris le sens que nous lui connaissons maintenant au sein des Cours européennes et fixé par Érasme, dans ses différents traités destinés à l’éducation, au savoir-vivre, des jeunes gens à travers « les convenances extérieures du corps » (80) : attitude du corps, vêtements, gestes, expression du visage, manières de se comporter à table… On peut se demander comment et pourquoi la société occidentale est passée d’un niveau affectif à un autre, comment elle s’est civilisée. (86) Pour autant, en tant que processus, il n’y a ni début ni fin. Par exemple il existait déjà en Français un terme (la courtoisie), mais qui désigne une catégorie sociale spécifique (le savoir-vivre des gens de cour : une aristocratie donc), et que développent, diffusent ces traités, et font devenir ces pratiques comme des normes de

Zola : Au bonheur des dames

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  Émile Zola, Au bonheur des dames , LGF, 1984 (1883), 508 p. C'est un roman sur le progrès ou tout au moins une vision du 19e siècle sur le progrès, ici incarné par le grand magasin. On retrouve ainsi Octave Mouret qu'on avait découvert dans le roman précédent animé par le désir d'ascension sociale, et mettant en œuvre pour cela des stratégies de cœur. Ayant obtenu celui de Mme Hutin avec un mariage, il hérite à sa mort de son magasin qu'il va transformer en mastodonte de la vente. Il répond alors à la demande des femmes - d'abord les plus fortunées, puis de toutes - de disposer de toutes les marchandises possibles dans un choix sans fin. Dans ce dessein, l'écrasement de la petite boutique est inéluctable. Ces boutiquiers mènent la lutte au nom d'une vision traditionnelle, mais n'ont pas les moyens de rivaliser : le père Bourras, l'oncle Baudu de Denise, Robineau y perdent leur argent, leur maison, leur famille. En contrepoint de ces chutes il y a

Zola : La joie de vivre

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  Émile Zola, La joie de vivre LGF, 1985 (1883), 447 p. Une histoire à l'envergure plus limitée que les précédentes et avec des personnages moins charismatiques : Pauline, orpheline des bouchers des Halles (cf. Le ventre de Paris ) est prise en charge par son oncle et sa tante, en Normandie près de la mer. On suit son itinéraire de sa tendre enfance jusqu'à sa maturité de jeune adulte. Promise à son cousin, elle voit Louise lui passer devant. Le titre est ironique car outre sa déception amoureuse, elle perd l'essentiel de sa fortune que sa tante pille pour soutenir les entreprises hasardeuses de son fils. Le chien meurt, ainsi que sa tante, son oncle est touché par la goutte qui le fait atrocement souffrir, son cousin court d'échec en échec sur le plan professionnel, et son mariage avec Louise s'avère malheureux... Et ce qui s'avère finalement un événement heureux, la naissance du fils de Lazare et Louise, s'effectue dans une incertitude et dans des doul

Zola : Pot-Bouille

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  Émile Zola, Pot-Bouille , LGF, 1984 (1881), 468 p. C'est en quelque sorte la problématique inversée de Nana : des histoire de coucheries mais vues du côté des bourgeois, ou encore le petit théâtre bourgeois de la même façon que l' Assommoir nous dévoilait le théâtre populaire. Zola s'y révèle féroce, cynique et intraitable à propos de ces mœurs bourgeoises, tout en moralité affichée, et pourtant tout en hypocrisie. Ce qui importe, c'est les valeurs affichées, en premier lieu celles de l’honnêteté, de la moralité. Mais les actes ne sont pas en accord. D'abord, beaucoup de tromperies, dont celle majeure de l'adultère (qui au contraire des nobles est dénié). Ensuite la préoccupation de l'argent, avec le souci de maîtriser l'enfantement, ou de marier les filles. Précisément sur ce registre Mme Josserand se montre inégalable : une truculence bourgeoise qui fait largement le pendant à celle mise en œuvre dans l' Assommoir : par exemple tout le chapitr

Réflexions sur l'écriture

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  Annie Ernaux, L'Écriture comme un couteau. Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet , Folio, 2011 (2003), 149 p. A propos des livres auto-socio-biographiques (socio-analyse, généalogie personnelle, autobiographie...). Le style adopté est celui d'une écriture clinique, que certains nomment blanche ou d'autres plate. Tout ce qui est né est né de la douleur. « Une douleur sans nom mélange de culpabilité, d'incompréhension et de révolte (pourquoi mon père ne lit-il pas, pourquoi a-t-il des manières frustres). Douleur dont on a honte, qu'on ne peut ni avouer ni expliquer à personne. » (32) Écrire quand on vient du monde populaire c'est écrire dans la langue de l'ennemi (Genet). Avec le sentiment d'être entré dans ce monde par effraction. « La seule écriture que je sentais juste était celle d'une distance objectivante, sans affect exprimé, sans aucune complicité avec le lecteur cultivé. » (34) « Tout l'enjeu consiste à trouver les mots et les phr

Témoignage d'un philosophe issu du milieu ouvrier

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  Didier Eribon, Retour à Reims , Flammarion-Champs, 2010 (Fayard, 2009), 247 p. Mélancolie liée à un habitus clivé (14) Sentiment déroutant d’être à la fois chez soi et dans un univers étranger (28) Baldwin : « j’imagine qu’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent de manière si tenace à leurs haines, c’est qu’ils sentent bien, que, une fois la haine disparue, ils se trouveront confrontés à la douleur. » (32) « Mon marxisme de jeunesse constitua donc pour moi le vecteur d’une désidentification sociale : exalter la classe ouvrière pour mieux m’éloigner des ouvriers réels. » (88) Les cheveux longs qui ne plaisent pas à son père (91). Critique du faible regard sociologique de Aron appliqué à lui-même : la satisfaction de soi comme conscience bourgeoise. 1 er enfant de la famille à accéder à l’enseignement secondaire (109). A propos de la difficulté de l’apprentissage de la culture scolaire en ce qu’elle exige une discipline des corps et des esprits, acquise semaine

Les Beatles au jour le jour

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  Geoff Emerick, En studio avec les Beatles. Les mémoires de leur ingénieur du son , Le Mot et le Reste, 2009 (2006), 476 p. Un livre écrit à la première personne par un homme qui a côtoyé sur la longue durée les Beatles puis Paul McCartney. C'est d’ailleurs avec lui qui noue le plus d'affinités ce qui fait que Lennon apparaît le plus souvent dans le rôle du méchant, ce qu'il était peut-être quand Paul prend sous la plume d'Emerick le rôle de leader, Harrison peinant à se faire une place avant qu'il introduise la musique hindoue, et Ringo étant presque insignifiant. L'écriture est simple mais finie par emporter le lecteur dans la restitution des mille et une choses qui se passent dans un studio, notamment sur le plan de la créativité particulièrement vivace chez les Beatles. On y voit aussi le rôle prépondérant de George Martin, parfois dénommé 5e Beatles. Dans un chapitre final on a un ramassé du rôle de la technique dans la réalisation des albums en généra

Les fonctions du sport dans les sociétés modernes

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  Norbert Elias, Eric Dunning, Sport et civilisation. La violence maîtrisée , Pocket, 1994 (1986 éd. anglaise) Avant-propos (Roger Chartier) Contre l'idée de l'universalité du sport, montrer sa discontinuité historique et géographique. Le sport moderne : « Abaissement du degré de la violence permise dans la mise en jeu des corps, l'existence de règles écrites et uniformes codifiant les pratiques, l'autonomisation du jeu (et du spectacle du jeu) par rapport aux affrontements guerriers ou rituels. » (13) Ruptures avec trois perspectives antérieures : pas d'histoire continue de chaque sport (pas de généalogie), les ruptures plus fortes que les continuités. Toutes les sociétés n'attribuent pas une partie de leur temps au sport. Pas de disposition psycho universelle innée au jeu (homo ludens : Huizinga). Spécificités du sport moderne : Annule les différences sociales = Principe d'égalité des chances entre les joueurs, simplement