Le récit d'une vie d'ethnologue et de militante
Germaine Tillion & Michel Reynaud, L'enfant de la rue et la dame du siècle : entretiens inédits avec Germaine Tillon, Tirésias, 2010, 333 p.
Ce livre d'entretiens réalisés entre 1992 et 2004 restitue la riche vie d'une femme engagée dans les combats majeurs de son siècle, la résistance à l'occupant nazi puis la décolonisation en Algérie. Ces combats elle les mène en tant que citoyenne, patriote et humaniste, mais aussi en s'appuyant sur les compétences acquises au sein de son activité professionnelle, l'ethnologie. Parmi celles-ci, le sens de l'observation et de l'analyse des situations vécues et des impressions ressenties. Car l'intervieweur insiste à plusieurs reprises sur cette dimension : « que pensiez-vous à ce moment-là ? » apparaît comme une de ses questions favorites, présumant sans doute faussement que son interlocutrice pourrait restituer l'exactitude de ses sentiments alors éprouvés.
On la suit donc dans ce parcours de vie, qui la mène dès 1933 dans l'Allemagne hitlérienne et où elle se souvient d'avoir trouvé le nazisme « grotesque » dans ses rites. Puis en Algérie, plus précisément dans les Aurès, où elle débute son travail d'ethnographe auprès de peuplades de cultivateurs particulièrement démunies et pour lesquelles elle notera paradoxalement que le « progrès » peut être à double tranchant. En effet, alors que ces populations sont frappées par un fort taux de mortalité infantile, la campagne de vaccination insufflée par l'administration française porte ses fruits et la population augmente rapidement. Et l'effet pervers de ce processus est l'appauvrissement général dans la mesure où il y a plus de bouches à nourrir pour la même production agricole. Ce qui conduira d'ailleurs bon nombre d'Algériens à tenter l'aventure de l'émigration en France...
C'est ensuite la période de la guerre (résistance – arrestation – enfermement - libération) qui est abordée et qui d'ailleurs occupe la plus grande place dans ces entretiens. Le souvenir est vif, de moments forcément tragiques, qui tournent parfois à l'absurde comme cette présence simultanée dans une petite gare danoise de son groupe de rapatriées de la Croix Rouge en attente d'un départ pour la Suède, et d'un train de SS repartant pour défendre Berlin.
Alors qu'elle vient d'un milieu bourgeois, elle est donc brutalement confrontée à l’expérience de la pauvreté, par deux fois, en Algérie et dans le camp de Ravensbrück. Des expériences évidemment déterminantes dans la conception qu'elle se fait de l'homme, de la vie en société, et de son propre pays : « L'expérience d'un autre pays, c'est une aventure qui, de toute façon, vous enrichit dans vos qualités humaines par l'intelligence des autres. Parce que cela vous permet de voir votre pays avec d'autres yeux. » (67)
Ces deux moments sont donc liés, ne serait-ce que parce qu'entre 1939 et 1945 Germaine Tillion a acquis une horreur la violence et la mort, ce qui fait d'elle une opposante à la guerre d'Algérie, y compris dans ses formes les plus cachées comme la torture. Elle fait d'ailleurs partie d'une commission d'enquête internationale composée d'anciens déportés.
Au final c'est donc bien la figure d'une humaniste qui ressort. Elle explique que face à la dictature, la terreur, le fanatisme, le totalitarisme, etc. : « il faut faire partie d'un groupe, d'une meute. Il ne faut pas se laisser entraîner par lui, mais il faut faire partie d'un groupe cohérent dont on partage les idées et qui partage les vôtres, sans cela vous êtes complètement inefficace et vous criez dans le désert. » (212)
« Il y a beaucoup d'hommes anti-quelque chose, mais il y a un monde entre être anti-quelque chose et les mettre dans une cage pour les tuer. » (69)

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