Les sociabilités à l'époque d'internet

 


Antonio A. Casilli, Les liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? Le Seuil, 2010, 333 p.

L’échange généralisé d’informations gratuites met à distance l’esprit mercantile. Pour certains le web est fondamentalement anti-capitaliste, voire communiste ! En tout cas il permet de réinterroger la notion de communauté. Entre le pouvoir envahissant des États, et les revendications d’autonomie des individus, où sont passés l’esprit d’entraide et la cohésion qui régissaient les sociétés traditionnelles ? Le web contribue t-il à la résurgence de cet esprit ? Comment alors faire communauté ?

Sur le ton de la boutade on peut parler de réalisation du communisme sur la toile puisque chacun butine selon ses besoins, le savoir est co-construit et partagé. Cependant cela ne met pas en l’air le règne des experts qui par exemple sont prépondérants dans la réalisation de logiciels. Néanmoins il y a bien cette notion de mise en commun visible par exemple à travers celle de communauté d’internautes ; sans doute plus de micro-communautés (segments d’âge, de culture (cf langue), d’intérêts, etc.) plus que celle d’une communauté mondiale enfin réalisée (cf le village planétaire de Mac Luhan). Et dans le terme de communauté il y a réalisé, au moins fantasmatiquement, le retour à ce collectif émotionnel et sensible dont Tonnies déplorait la disparition, auquel succédait ce collectif anonyme de la société, fondatrice d’individus isolés et atomisés. 

Comment faire communauté ? 1) par le mécanisme du don et contre-don : plus on est participatif plus on bénéficie du réseau 2) plus on est impliqué, plus on est reconnu, et plus la communauté resplendit car la soif de prestige pousse les usagers à donner de leur temps 3) le sentiment que son action peut être profitable à tous, et en tout cas est visible immédiatement (cas des wiki), est source de motivation.

Cependant tout le monde n’a pas accès à cette (ces) communauté (s). Il existe une fracture numérique qui passe aussi bien par l’équipement, que le non-savoir, ou les savoirs non-maîtrisés.

Qui utilise le Net, pour quel usage ? On remarque par exemple qu’il existe en Chine une utilisation par les plus de 50 ans pour les services d’entraide. Ce qui d’ailleurs dispense les pouvoirs publics d’entreprendre des politiques à grande échelle.

Cette idée d’un usage par les plus dépossédés a été confirmée par une enquête auprès des jeunes : la quantité de temps passée en ligne est inversement proportionnelle à la surface des espaces physiques privés, et des espaces physiques publics fréquentés.

Des vertus démocratiques se dessinent par rapport à l’information sur le Net : elle doit être gratuite (et affranchie de toute propriété privée et autorité). Il existe un esprit internet comme il existe un esprit rock (libertaire, lié à une technologie). Il y a inséparabilité des valeurs politiques et des usages technologiques. D’ailleurs l’architecture même du web représente la décentralisation et l’autonomie prônée par les pionniers.

Contre l’idée que le Net virtualiserait la vie, on voit que les militants du Net sont aussi des actifs dans la vie réelle. (agir sur le plan informationnel, et faire en sorte que les gens par exemple aillent voter)

Question de la vie privée sur le Net avec 3 moments : quand on s’assoit face à l’écran, quand on interagit (mails, chat), quand on remplit un formulaire. Dans une enquête une chercheuse montre que c’est seulement dans le 3e cas que les peurs existent d’une surveillance, quand on laisse des données à une institution.

La privacy n’est pas seulement le droit d’être laissé seul, c’est aussi le droit d’être oublié, de ne pas laisser de traces.

Disparition des experts ? Les forums médicaux semblent être utiles aux malades qui s’entraident et améliorent leur état par les expériences partagées. Et les experts refusent ces alternatives.

Internet à la fois un outil de communication interpersonnelle comme le téléphone ou le courrier, et un outil de masse comme la TV ou radio. Le téléphone intensifie les relations humaines tandis que la TV les diminue. Pour internet tout dépend de l’usage : quand il est utilisé au boulot, alors les relations avec les proches sont maintenus ; quand l'usage a lieu dans la sphère privée alors baisse des relations.

Comment se normalisent les informations sur le Net dans le cas des outils collaboratifs ? L'exemple d’une controverse sur la précarité entre marxistes et catholiques (p. 310 sq) montre que ceux qui l’emportent sont plus nombreux = idée que la norme est démocratique et non pas autoritaire ou cognitive (reposant sur une vérité), mais aussi fondée sur la réputation. Celui qui perd n’est pas interdit de contribution, c’est seulement sa réputation qui en pâtit. Quand un site est aux prises avec des trolls, c'est-à-dire des agressions qui jettent l’opprobre sur le site, une des solutions peu coûteuse (par rapport à l’emploi d’un ou de plusieurs modérateurs) c’est la prise en main collective, la communauté effaçant au fur et à mesure les messages.

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