Ce que la sociologie de la consommation revèle
Christian Baudelot & Roger Establet, Maurice Halbwachs, consommation et société, PUF, 1994, 128 p.
Les lois d'Engel formulées entre 1853 et 1891 :
Plus le revenu est élevé, plus petite est la proportion consacrée à la nourriture ;
La proportion de la dépense de vêtements reste approximativement la même quel que soit le revenu ;
La proportion des dépenses pour le logement, le combustible et l'éclairage reste approximativement la même pour toutes les catégories de revenus ;
Plus le revenu est élevé, plus est grande la proportion des dépenses diverses.
Les divers enquêtes de Halbwachs vérifient la première et la quatrième loi mais pas les autres. Pour lui le statisticien a eu deux torts :
de supposer une relation simple et linéaire entre la répartition des dépenses et le niveau de revenus. L'organisation d'un budget familial est un fait social trop complexe pour s'ordonner à partir de cette variation de ressources. Le revenu agit bien sur un budget mais jamais de façon directe. Son action s'exerce à travers le système des goûts et des préférences que les individus se sont progressivement formés dans leur milieu. En cas de hausse, on satisfera d'abord les besoins les plus réprimés, on n'en inventera pas immédiatement de nouveaux. Un ouvrier dont les revenus s'élèvent fortement, vivra comme un riche ouvrier et ne calquera pas son mode de vie sur celui d'un cadre.
Ces lois sont trop générales pour avoir un sens sociologique. Par exemple un même montant de dépenses consacrées à l'alimentation dissimule des paniers très différent : plus de viande, de jambon et de saucisse pour les employés, plus de graisse et de pommes de terre pour les ouvriers. Sous les produits, la valeur sociale qui lui est accordé et l'usage qui en est fait.
Par exemple la consommation des employés se distingue de celle des ouvriers car leur alimentation n'est pas abondée par un jardin potager. Ils recourent donc moins à l'auto consommation, moins à la congélation domestique ou aux conserves maison, et achètent donc davantage de conserves et de surgelés.
Pour ce sociologue, un niveau de vie correspond donc à la place qu'occupe le groupe ou l'individu par rapport à la société : dedans ou dehors, au centre ou à la périphérie. Il se mesure par le type de biens matériels ou symboliques produits par cette société auxquels ont accès à ces différents groupes (la théorie du feu de camp).
On peut imaginer que le degré d'intégration tende vers zéro et que certains groupes sociaux comme les classes ouvrières sont pratiquement exclus et même désintégrés. Une théorie de nouveau d'actualité avec les termes d'exclusion. Car les garanties obtenus au cours des 30 glorieuses sont récentes : qu'il s'agisse de l'accès à la salle de bain dans le HLM, l'accès aux soins par la sécurité sociale ou l'accès à la plage par la voiture et les congés payés. Aujourd'hui ce sont ceux qui sont privés de travail qui se retrouvent à l'extérieur de la société.
Des enquêtes menées par François Simiand avant la première guerre mondiale montre que des personnes qui à Paris vivaient à deux avec 1,5 l de lait et une livre de pain tous les deux jours ; d'autres qui vivait avec deux œufs, 1 l de lait et une demie livre de pain, un peu de légumes et un peu de beurre de temps en temps et qui étaient contentes de leur sort et continuaient de travailler des journées de 14-15 heures.
D'après Tarde, les produits nouveaux ou importés de l'extérieur se diffusent toujours à partir des classes supérieures. Simmel soutient que la diffusion des articles de confection dans les catégories inférieures oblige les élites à abandonner le port des vêtements récents si elles ne veulent pas perdre leur domination symbolique. L'examen plus détaillé de l'évolution de l'approvisionnement montre qu'il n'en est pas toujours ainsi.
La prise en compte des enquêtes aux États-Unis montre des différences de consommation importantes. D'après l'enquête Ford en 1929, 100 familles ouvrières étudiées, 36 avait une radio, 13 un piano, 45 un phonographe, 76 une machine à coudre, 21 un Cleaner, 51 une machine à laver, 98 un fer électrique, 61 un appareil électrique pour les toasts, 94 des tapis dans le salon, 47 une automobile. Alors qu'en Europe, une fois payé le stricte nécessaire, un maigre loyer pour un pauvre logement, la nourriture et les habits, il ne reste dans la poche de l'ouvrier que la part du glaneurs. Les ouvriers américains grâce à l'augmentation des salaires mais aussi en diminuant en valeur absolue leur consommation alimentaire bien au-delà de ce qui est attendu du fait de la première loi d'Engel ont dégagé un surplus orienté vers des consommations nouvelles dans leur classe sociale. Par exemple témoignage en 1898 qui dit que l'ouvrier américain jette le lapin, ignore le pot-au-feu est fait et fait griller de gros morceaux de viande. Mais observations aussi d'une moindre consommation de viande et d'une augmentation de la consommation de fruits, de légumes verts et de lait parmi les ouvriers américains comme un remaniement hygiéniste de l'alimentation. Ce remaniement exprime une nouvelle hiérarchie des besoins éprouvés, en particulier à l'acquisition des instruments modernes du confort. Le surplus disponible du revenu est employé à satisfaire d'autres besoins.
Aussi, le sociologue français, infléchit en 1933 sa thèse et ne considère plus les conditions de travail comme les seuls sources des besoins. Le mode de vie des ouvriers s'explique aussi à partir du mouvement des revenus, des prix, du coût de la vie et des statistiques de production de biens et de services.
« La morale aristocratique et petite bourgeoise qui réprouve la richesse ou accepte de l'honorer qu'à travers les propriétés morales de celui qui la possède n'est pas de mise à Chicago. C'est bien l'économie capitaliste tout entière qui figure désormais au centre du foyer. La richesse matérielle, la civilisation mécanique, la production de masse des automobiles et de l'électroménager, voilà les nouveaux biens que l'on regarde comme les plus importants. Une nouvelle civilisation voit le jour, le vieux monde est derrière nous. Cette emprise qui exercent les nouvelles inventions, les nouveaux produits, les formes modernes du confort, les distractions collectives, les agences de voyage, les organisations de santé, d'hygiène, de prévoyance, d'assurance, de crédit s'expliquerait non pas par le caractère mécanique de ses objets et de ses institutions mais parce qu'on n'y reconnaît la marque de la société contemporaine et ses tendances maîtresses, et plus généralement qu'on aperçoit derrière une civilisation que l'on considère, à tort ou à raison, comme plus large, plus riche et plus progressif que les autres. À de telles influence, la classe ouvrière obéit peut-être plus docilement encore, parce qu'elle était moins habitué et moins liés que les autres modes de vies anciens, ou type de civilisation qu'on peut croire dépasser. Elle n'a pu en éprouver les bienfaits, parce qu'elle ne disposait pas autrefois des moyens pécuniaire qui lui échoit aujourd'hui. Quoi d'étonnant si un rapport s'établit dans sa pensée entre l'accroissement de ses revenus et les formes nouvelles de la vie sociale, et qu'elle soit de leur moins sensible aux insuffisances de cette société ? » ( Halbwachs)
La question du logement : En s'écartant du besoin primitif, c'est d'abord un processus de sublimation des objets primitifs qui travaille aussi les besoins de nourriture en introduisant le goût de mets compliqués et rares ou aussi à travers le vêtement. Mais c'est dans le logement que les objets peuvent se diversifier à l'infini et constituer ainsi le décor raffiné de la mise en scène du social. Par exemple posséder un espace où les différentes fonctions sont diversifiées. Auparavant les conditions de vie à l'intérieur du taudis poussaient l'ouvrier à sortir dans la rue, moins par désir que par nécessité. Dès lors que le niveau de ressources augmente, deux préférences émergent en France et ailleurs : un goût prononcé pour l'habitat individuel et pour l'accession à la propriété.
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