Enquête sur l'exploitation capitaliste
Gisèle Ginsberg, Je hais les patrons, Paris : Seuil, 2003, 226 p.
L’attaque du livre est percutante avec le témoignage de Catherine, secrétaire, expliquant qu’en arrivant sur les lieux de son travail elle a des nausées, lesquelles viennent de ce que son patron lui « gueule dessus », à longueur de temps, et non pas de la cantine comme l’interprète le médecin du travail. Dans ces lignes beaucoup de choses sont dites, du mépris des dirigeants pour les subalternes (« je suis transparente, je fais partie des meubles ») et de leurs alliés objectifs ne considérant les individus que comme forces de travail, avec des problématiques mécanistes d’un corps souffrant que sous des causes externes (et donc réparable sans doute par la médicamentation). Des salariés demandeurs de respect et de considération (« on a beau être de vieux chevaux sur le retour, une petite caresse sur l’encolure ça fait du bien »), et non pas d’appellation édulcorantes (opérateurs, assistante, collaborateur, etc.). Des salariés plus soumis que jamais sous les effets conjoints des risques de chômage, de la perte d’influence des syndicats, de la perte de confiance dans le politique. Soumission donc à l’ordre existant, en lui à celui de la hiérarchie, car face aux subalternes, les cadres « se tiennent les coudes, même s’ils se détestent ».
L’auteur constate les dégradations des conditions de travail pour tous types de salariés : intensification, individualisation (des tâches et des salaires), précarisation. Et donc l’augmentation des maladies notamment les TMS (les troubles musculo-squelettiques) particulièrement développés au sein d’entreprises à la hiérarchie rigide, le droit d’expression limité, et une direction Générale sans capacité de manœuvre car filiale sous-traitante dépendante d’un groupe.
Dérive dans la politique managériale d’évaluation des salariés dans la confusion entre savoir-faire et savoir être. Les seconds sont de plus évalués.
Les salariés de plus en plus contemplateurs de leur propre souffrance, entrés dans la servitude volontaire ? En tout cas on constate le déni de la souffrance d’autrui (Dejours) par le détournement du regard, la moindre solidarité, et même la peur, voire la délation orchestrée par les directions d’entreprise (pour licencier un délégué par exemple). Constat d’une salariée : le boulot c’est la guerre (de tous contre tous donc).
Constat des effets négatifs de la réduction du temps de travail sur le salariat populaire : mais l’échec était inscrit dans la loi : en autorisant des aides aux entreprises qui réduiraient le temps de 10 % si elles augmentaient leurs effectifs de 6 %, l’intensification était inéluctable.
Constat aussi de la criminalisation croissante de l’action syndicale : emprisonnement de militants.
La structuration de l’univers en eux et nous a-t-elle disparu ? Ce n’est pas si sûr malgré ce qu’en dit l’auteur. Il existe encore dans la représentation ouvrière un schéma classiste sur un plan global ; ce qui change c’est que ce schéma est simultanément concurrencé ou dilué dans les luttes de classements.
Voir ce livre comme tendance contraire à celle dégagée par Boltanski & Chiapello : plusieurs âges du capitalisme coexistent simultanément, et celui de la caporalisation, de l’entreprise considérée comme un lieu fortement hiérarchisé dans lequel le droit est d’abord celui des leaders (chefs d’entreprise, managers, DRH, cadres).
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