Analyse sociologique de la relation d'enseignement
Georges Felouzis, L'Efficacité des enseignants. Sociologie de la relation pédagogique, Puf, 1997, 194 p.
À propos de l'influence du rôle des enseignants sur les élèves : « les effets-maîtres sont le résultat d'interactions qui sont, par définition, très difficiles à saisir. On ne peut, en aucun cas, dresser le « portrait robot » de l'enseignant efficace, car les mêmes pratiques, les mêmes manières d'être ne sont pas obligatoirement efficaces avec tous les types d'élèves et dans toutes les disciplines. » (30)
Néanmoins un certain nombre de travaux montrent que la réussite des élèves n'est pas uniquement une question d'institutions ou de capital culturel, mais aussi une question de relations entre les élèves et leurs professeurs. C'est donc vers une sociologie de la relation pédagogique il s'agit d'orienter nos investigations. (34)
Affirmer que les phénomènes scolaires objectivement appréhendés se construisent dans l'interaction implique deux niveaux d'analyse :
Le premier est celui de l'accomplissement des phénomènes sociaux dans la relation pédagogique : le code de la maîtrise différentielle de code linguistique pour les enfants de milieu populaire ou bourgeois analysé par Bernstein en est un exemple des plus classiques. D'autres pourraient évoqués ici par exemple la communication pédagogique décrite par Bourdieu et Passeron dans la Reproduction : c'est bien dans la rentabilité différentielle de cette communication que l'on peut trouver la mise en œuvre phénoménologique des inégalités culturelles et sociales.
Le deuxième niveau d'analyse concerne beaucoup plus cet ordre de l'interaction Goffmanien : il s'agit alors de phénomènes plus difficiles à saisir car plus contingents et relevant de la situation proprement dite, comme l'a montré la psychologie sociale américaine dans le cas de l'analyse des effets-maîtres.
On parle ainsi de l'effet Pygmalion.
Deux questions seront abordées dans l'ouvrage :
Celle des conditions de l'efficacité des enseignants du secondaire. Existe-t-il en classe de seconde des enseignants plus efficaces que d'autres ?
Comment expliquer ces différences d'efficacité ? Par hypothèse ce sont les attentes professorales qui constituent le facteur explicatif de l'efficacité des enseignants.
Le niveau de départ des élèves forme donc le cadre contraignant de l'action pédagogique des enseignants. Les effets de contexte ne peuvent se penser en dehors de ses tendances générales. Pour autant les acquisitions en fin d'année sont largement dépendantes de la classe et du professeur chargé d'y enseigner les mathématiques. « Connaissant l'enseignant, le sexe, l'âge, l'origine sociale et les acquis en début d'année, la prédictibilité du niveau des acquis en fin d'année est très forte. Elle dépend toujours en premier lieu des acquis en début d'année, montrant les limites de l'effet enseignant. Mais au-delà de cette inertie scolaire, les enseignants n'ont pas, toutes choses égales par ailleurs, la même efficacité pédagogique. » (57) [La part enseignante : en mathématiques je me braquais surtout avec des femmes, mais pas en français. Besoin de se sentir aimé]
« Au sein des déterminismes sociaux et scolaires, le contexte propre à une classe, et les pratiques pédagogiques d'un professeur peuvent transformer les destins scolaires apparemment tout tracés, et agir (positivement ou négativement) sur les acquisitions effectives des élèves, leurs savoirs et leurs compétences. » (60)
Au niveau de la classe de seconde il apparaît que des différences scolaires sont plus marquées que les différences sociales : ainsi, à âge égal, l'origine sociale des élèves ne joue pas de manière pertinente pour rendre compte de leurs performances scolaires. De-même le niveau de départ d'un élève, quelles que soient ses caractéristiques sociales et scolaires, est de loin la variable le plus pertinente pour prédire ses performances en fin d'année. (64) L'effet–enseignant explique entre 13 et 15 % des acquisitions de fin d'année selon la discipline. Les professeurs ne génèrent pas la même progression de la part de leurs élèves : ils influencent significativement leurs acquisitions. L'effet–enseignant est donc bien réel et détermine une part significative des acquisitions des élèves. À quoi tiennent ces différences d'efficacité : aux pratiques pédagogiques, aux manières d'enseigner, de s'investir dans la relation pédagogique, etc.
La mesure des performances des élèves en début et en fin d'année scolaire montre un effet enseignant très important, c'est un cas de l'effet Pygmalion : « les enseignants qui manifestent des attentes positives envers leurs élèves au travers d'une notation indulgente génèrent des progressions plus importantes que la moyenne. Les plus sévères produisent l'effet inverse : les acquisitions des élèves stagnent ou même baissent en cours d'année. » (92)
« Le discours sur le niveau des élèves sépare très fortement les professeurs selon leur degré d'efficacité. Les professeurs les plus efficaces, sans nier parfois les faibles performances de leurs élèves, ne développent pas de discours généralisant sur cette « baisse » du niveau ni sur la « nullité » des élèves d'aujourd'hui. Inversement, les moins efficaces sont intarissable sur la question, exprimant en fin de compte les attentes négatives qu'ils peuvent entretenir envers leurs élèves qui « ne comprennent rien » et « ne savent plus parler français. » (111)
« Les enseignants de français et de mathématiques les plus efficaces semblent vivre dans un tout autre monde que les premiers. On est en effet frappé par les différences de perception des réalités scolaires qu'ils expriment dans les entretiens. Pourtant ces enseignants exercent dans les mêmes établissements, devant les élèves dont les qualités scolaires ne diffèrent pas des premiers. Or, devant des conditions similaires, des collègues, établissements et élèves identiques, les enseignants efficaces développent un rapport à leurs élèves et à leur métier qui contraste largement avec ce que nous avons vu précédemment : du point de vue du niveau des élèves de leurs potentialités, et des attentes exprimées dans la relation pédagogique. » (117)
« Le phénomène le plus marquant qui permet de distinguer les enseignants efficaces des non efficaces est celui des attentes. À la lecture des entretiens, il apparaît comme une évidence que, dans l'un et l'autre cas, la relation aux élèves se construit sur des modes totalement opposés : les enseignants efficaces apprécient leurs élèves, qu'ils soient bons ou mauvais, les jugent positivement sur leurs potentialités et leurs capacités à progresser, et expriment dans leurs pratiques pédagogiques comme dans leurs rapports au quotidien avec leurs élèves. » (120) C'est souvent d'un point de vue affectif que le discours se construit sur les élèves : les élèves sont gentils, sympa…
p. 143 :
Les professeurs centrés sur les élèves parlent plus volontiers des connaissances de ceux-ci pour élaborer leurs propos. Ils en font le socle d'une progression et de nouvelles acquisitions.
L'effet Pygmalion : un élève dont on n'attend rien ne progresse pas.
Le taux de passage en seconde quatre ans après l'arrivée en sixième est de 32 % en 1980, et 46 % en 1989. Avec de grosses disparités : les enfants dont les parents sont cadres ou professeurs vont à 77 % en seconde, 32 % pour les enfants d'ouvriers (en 89).
Quand on interroge les élèves à propos des bons et des mauvais profs, on retrouve une conception de la relation pédagogique qui tranche largement avec les canons de l'institution scolaire du professeur compétent, passionnant et passionné. Ici « le bon professeur c'est un prof qui nous comprend, n'est pas borné et n'a pas d’œillères, c'est un prof qui met une bonne ambiance dans sa classe, il n'est pas là que pour nous apprendre quelque chose. Il est là aussi pour nous donner une certaine envie de travailler, il nous donne une vision intéressante de l'école et des études. » Les nouveaux lycéens attendent de nouveaux profs : on mesure ici tous les changements intervenus dans le métier d'enseignant et le désarroi de ceux qui voient leur rôle social et professionnel passé d'une conception plutôt humaniste et élitiste (la culture pour la culture à ceux qui possèdent déjà la culture) à une conception relationnelle adaptée aux nouveaux publics scolaires.
À propos de la définition du bon professeur, dans les analyses factorielles on relève un dualisme intéressant entre les filles de l'enseignement technique qu'elle soient enfants de cadres ou pas de cadres qui attendent du professeur avant tout une relation personnelle, et à l'autre pôle les garçons qui attendent du professeur avant tout de l'efficacité. (175)
Dans cette définition il faut voir une osmose entre la représentation des enfants issus des milieux cadres et ceux qui viennent d'autres milieux comme si l'institution développait une représentation commune du bon professeur comme efficace et passionnant à la fois. Cette hypothèse a le mérite de prendre en compte non seulement l'institution elle-même, mais aussi les relations entre pairs qui construisent le rapport à l'école et aux études. Les différences sociales tendraient donc à s'amenuiser au sein de chaque filière entre les lycéens de différents milieux sociaux. Mais l'origine sociale n'est pas sans effet. La tendance est à l'homogénéisation des attitudes mais pas à l'absence complète de différence : la définition charismatique du professeur par les filles n'est pas totalement dégagée du souci d'efficacité pour les lycéennes de milieux cadres, et de relations humaines pour les lycéennes de milieux non-cadres. Ensuite les différences de sexe sont très importantes et distinguent très fortement les lycéens au sein des filières technologiques et générales. L'opposition est flagrante dans l'enseignement général : la passion et l'intérêt pour la discipline sont le plus souvent revendiqués par les filles, les garçons étant plus axés sur l'efficacité scolaire. La socialisation du sexe est ici un élément central dans la formation des individualités et dans les attentes envers l'école.
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