Les enjeux politiques du 21e siècle
Jean-Luc Mélenchon, Faites mieux ! Vers la Révolution citoyenne, Robert Laffont, 2023, 358 p.
Ce qui caractérise les sociétés actuelles, c'est l'hyperconnexion : en 1997, il y avait 82 millions d'ordinateurs, 377 millions en 2000, 1 milliard de personnes connectées en 2005, 4 milliards fin 2016.
Autre exemple, Facebook avait 400 000 utilisateurs en 2008, 1,5 milliards en 2015, 3 milliards en 2022. Les deux tiers des humains sont sur un réseau social.
L'enjeu actuel est une harmonie entre les temps écologiques et sociaux « contre la dictature du temps cours capitaliste ». (27) En effet, celui-ci se raccourcit rapidement : le temps de possession d'une action était de six ans en 1945 (jusqu'à 1975), puis entre 1985 et l'an 2000 le temps moyen est passé à deux ans. Puis il a baissé à 11 mois de nos jours. Mais il tombe à 22 secondes quand on intègre dans le calcul, les opérations de trading à haute fréquence.
Dans ce bouleversement de l'usage du temps, la part consacrée au sommeil n'a cessé de diminuer (en un siècle, le temps moyen de sommeil est passé de 10 heures à 6h40) et le travail de nuit d'augmenter : 15 % des salariés français travaillent la nuit, c'est deux fois plus qu'au début des années 1990.
On retrouve cette intensification dans l'élevage : un poulet en liberté peut vivre plusieurs années, mais l'élevage intensif lui accorde six semaines.
Il existe donc un enjeu « de nationalisation du temps comme bien commun ». (46)
Ce qui caractérise les sociétés humaines c'est la capacité de cumul du savoir. Cette capacité est liée à la taille du groupe car plus la population est nombreuse plus le réseau d'information est dense.
Mais dans les sociétés capitalistes, certaines entreprises tendent à s'approprier et monopoliser le savoir : par exemple, avec Google, 90 %, des articles publiés sont écrits avec d'autres structures, y compris des départements de recherche publics, mais seulement 0,3 % des brevets sont codéposés.
La croissance démographique alliée à la croissance capitaliste entraîne des désordres écologiques majeurs. Le poids des productions humaines est supérieur à celui de tous les animaux et de tous les végétaux réunis. Les pompages d'eau souterraine ont changé l'inclinaison de l'axe de la terre. Le plastique produit pèse deux fois le poids de l'ensemble des animaux vivants (87).
Une autre pollution est la pollution lumineuse qui se produit à un rythme soutenu : un astrophysicien indique que quand un enfant naît dans un endroit, il peut voir 250 étoiles la nuit, il n'en verra plus que 100 quand il aura 18 ans.
Le bruit est aussi un problème que l'OMS place au deuxième rang des facteurs environnementaux provoquant le plus de dommages sanitaires en Europe juste après la pollution de l'air. Elle touche un Européen sur cinq et est à l'origine de 12 000 décès prématurés chaque année.
Une des lames de fond des bouleversement socio-démographiques à l'échelle de l'humanité est l'urbanisation : en 2008, la population vivant en ville a dépassé en nombre celle vivant à la campagne. Les villes sont des créations planifiées (et non hasardeuses). À l'origine elles sont formées de quartiers standardisés composant environ 150 maisons regroupées autour d'un bâtiment communautaire. Leurs limites extérieures semblent fixées d'avance. Donc la ville est une production consciente des êtres humains.
Dans cette croissance illimitée, la forme réseau devient essentielle. Le réseau est défini par trois composantes : un contenant matériel, une information qui ordonne l'action, et un flux physique qui circule. Mais cette numérisation de la vie sociale s'est faite au détriment des services publics existants : un bureau de poste et une école fermés par jour pendant 15 ans. La moitié des maternités fermées en 20 ans. Un tiers des petites gares ne sont plus desservies alors que la mobilité nécessaire a augmenté considérablement. En 1800, en France, on ne parcourait pas plus de 4 à 5 km par jour en moyenne. Aujourd'hui, si on fait toujours autant de trajets par jour (quatre à cinq), on parcourt en moyenne 45 km. C'est neuf fois plus qu'il y a 50 ans.
Si, dans sa composition, la société est devenue plurielle, l'image qui en est donnée à la télévision, montre une domination statistique des classes moyennes supérieures et masculines. Les 3/4 des personnes montrées dans les émissions et fictions sont des cadres et des patrons. Seul 4 % sont originaires de banlieue, 3 % des Outre-mer, et 14 % ne sont pas blancs, les femmes sont présentes pour moins de 39 %. Le peuple est souvent bestialisé, représenté avec la bouche ouverte, vociférant. La bouche ouverte symbolise dans la comédie antique le gouffre menant aux enfers.
Dans cet univers fragilisé, et surtout quand il s'agit de biens communs comme l'eau, l'air, la terre, le savoir, il faut prendre des mesures fortes. Éviter qu'ils soient accaparés et monnayés par certains. Pourquoi le bien commun serait-il une propriété privée. Comment faire le partage ? Seule une communauté citoyenne est légitime à le faire. Pour cela, il faut renverser l'ordre de la hiérarchie des normes et remettre en cause la concurrence libre et non faussée. À sa place : la solidarité, la coopération, et la règle verte.
Une lutte s'engage contre le fonctionnement actuel du capitalisme mondialisé et en réseau. Le réseau est d'ailleurs sa condition : la logistique rend possible fonctionnement des réseaux matériels. L'informatique ordonne la circulation. La finance commande et condense. Ce sont les trois piliers de ce nouveau système. Les firmes transnationales dominantes sont celles qui parviennent à organiser un réseau complet. Elles ne possèdent pas d'usines, pas de champs, pas de mines, pas de forêts, mais mettent en place les réseaux nécessaires. Cette organisation est la forme réelle directe de l'accumulation du capital aujourd'hui sous la domination du capital financier. La valeur de toutes les actions de toutes les entreprises cotées en bourse représentait en 1975 1400 milliards de dollars, en 1995, 17 000 milliards, et aujourd'hui 65 000 milliards. La bulle financière a été multipliée par 45 mais le produit intérieur brut du monde quant à lui a augmenté seulement trois fois et demie. Chaque jour s'échange sur les marchés financiers, un montant équivalent à 115 fois la valeur du commerce mondial de biens et de services. Un des moyens de cette extension du capitalisme a été la privatisation. Par exemple des autoroutes. Après qu'elle ait eu lieu, les péages ont augmenté de 20 %. En cinq ans, les dividendes versés aux actionnaires, dépassaient la somme payée pour acheter le réseau à l'État. Les dividendes varient entre 90 et 100 % des profits réalisés tant il y a peu d'investissement à faire. C'est le capitalisme tributaire (le tribut en usage dans la société féodale). On le retrouve au sein de la grande distribution, puisqu'elle a mis en place des réseaux numériques permettant de gérer toute la circulation, de la chaîne de production jusqu'à la vente. Avec des gains d'efficacité indéniables : moins de stocks, moins de délais, moins d'erreurs. Mais contrôlés par la grande distribution, tous les profits dégagés sont captés par elle et non par les producteurs.
A l'échelle des États, le monde des réseaux de la mondialisation était dominé par les États-Unis. Mais la Chine tente de construire ses propres réseaux. Ainsi, depuis 2000, la part du dollar dans les réserves mondiales des banques a baissé de 71 % à 59 %. Elle décroît depuis 2014, au rythme de 1 % par an. Les pays non alignés (les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) développent une nouvelle monnaie depuis août 2023. Cet ensemble représente 31,5 % de l'économie mondiale. Le G7 des puissances dominantes d'il y a 30 ans ne représente lui que 31 % de ce total. La Chine propose sans succès jusqu'à présent de créer une monnaie commune mondiale à partir de l'ONU. Cette monnaie servirait uniquement pour les échanges internationaux.
Sur la base de ses modifications à l'échelle de l'humanité, il s'agit donc de créer une culture commune à partir d'éléments distincts, y compris sur le plan culturel. Cela s'appelle la créolisation. Elle existe par référence à la création d'une nouvelle langue dans les Antilles et l'Amérique du Sud : le créole. Les esclaves capturés dans tous les secteurs d'Afrique ne partaient pas la même langue, ni avec les maîtres. Il s'agit donc de créer un lien social nouveau comme ces esclaves produisirent une nouvelle langue pour pouvoir communiquer au moment même où leur statut d'humain était dénié.

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