La civilisation judéo-chrétienne existe t-elle ?


 


Sophie Bessis, La civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d'une imposture, Les liens qui libèrent, 2025, 90 p. 

Auparavant, on enseignait que la civilisation européenne était gréco-latine (et non pas judéo-chrétienne).
Puis le juif a été occidentalisé et détaché de son lieu d'origine pour « se transmuer en sujet d'histoire exclusivement européen ». (20)
Un grand remplacement qui signe l'avènement du recours au registre religieux pour qualifier la culture, mais qui jette aussi un voile sur deux millénaires de haine antijuive. Persécution qui commence dès le triomphe du christianisme, et sans lesquelles le nazisme n'aurait pu advenir.
Pour récuser cette filiation, l'Europe, et l'Occident ont mis deux stratégies en œuvre : établir l'État d'Israël et en défendre « inconditionnellement la politique expansionniste » (28) et deuxièmement, populariser le terme judo-chrétien, en faire le socle de la civilisation occidentale. C'est à ce prix que « l'Occident a estimé pouvoir se laver de son crime. » (29) Chemin faisant cette association judéo-chrétienne, « escamote le juif, cette éternelle incarnation de l'Autre qu'on faisait venir d'un lointain ailleurs oriental » (30), « l'Autre est en quelque sorte absorbé avec l'ensemble de ses propriétés. » (31)
Dans ce processus, on ne fait plus l'histoire des monothéismes, mais on renvoie l'islam à une altérité, l'Occident se drapant dans l'universalité.
Dès que l'islam aborde les côtes européennes au VIIIe siècle, la chrétienté y voit un redoutable concurrent. Des trois versions successives du monothéisme, le judaïsme « a formulé l'universel moral dont toutes se réclament, mais il est demeuré une religion tribale réservée au peuple que Dieu aurait élu. » (38) Son prosélytisme a vite été confiné dans « un habitus communautaire ». A l'inverse, le christianisme et l'islam ont affiché « une prétention universelle », c'est donc sur ce terrain qu'ils entrent « en rivalité. » (39)
Dans cette lutte, l'islam a donc été expulsé, celle-ci est renforcée au moment de l'impérialisme et de la colonisation, puisqu'il représente la religion majoritaire des populations asservies : il devient ainsi cantonné « dans une inaltérable altérité » (46) : « Toute personne un peu instruite des choses de notre temps voit clairement l'infériorité actuelle des pays musulmans, la décadence des États gouvernés par l'islam, la nullité intellectuelle des races qui tiennent uniquement de cette religion, leur culture et leur éducation ». (Renan cité page 47)
Les États-Unis ne se préoccupent pas de l'islam et nouent même des contacts avec les mouvements fondamentalistes avant la chute de l’union soviétique sur la base d'une commune croisade anti-communiste mais après l'attentat du 11 septembre 2001, ils sont stigmatisés comme trop différents pour intégrer l'habitus judéo-chrétien qui reste donc le propre de l'Occident.
Depuis cette date, l'islam est pointée avec ses dangers communautaristes, sans que les autres religions ne le soient de la même façon.
L'islam contribue elle aussi à réifier le terme judéo-chrétien avec l'installation de l'État hébreu comme un corps étranger et comme la marque de la domination occidentale. Il existe de longue date en effet, un sionisme chrétien qui donne des arguments à l'idée d'un « complot judéo-chrétien ». Ce sionisme est antérieur au sionisme juif de la fin du XIXe siècle, puisque dès le XVIIe les colons britanniques débarquant en Amérique du Nord, s'identifient au peuple d'Israël fuyant le pharaon, car ils quittaient l'Angleterre où ils étaient réprimés.
Et de l'autre côté, le monde arabo-musulman a cherché lui aussi à occulter la présence les juifs au sein de leur monde (1 million de juifs à la fin des années 1940) alors qu'aujourd'hui ils ont presque totalement disparu, hormis au Maroc et en Tunisie.
Ainsi, « le sionisme et le nationalisme arabe se sont distingué et se distinguent encore par un rejet obsidional de toute altérité interne, de toute diversité susceptible d'altérer la pureté d'identités fantasmées. » (65) Si l'Occident est judéo-chrétien, alors l’Orient arabo-turco-iranien est son inverse. Et par effet retour, Israël déconsidère les juifs orientaux qui sont relégués dans des emplois moins valorisés : « Tel est le paradoxe de cet Etat obsédé par l'éventualité de voir la population juive devenir minoritaire sur le territoire aujourd'hui à peu près totalement colonisé de l'ancienne Palestine mandataire, ses dirigeants n’ont de cesse d'encourager l'immigration juive d'où qu'elle vienne. Mais, en même temps, ils cherchent à prémunir le pays qu’ils gouvernent de tout danger d'orientalisation. C'est ainsi qu’Israël a aidé à la généralisation de l'usage du couple judéo-chrétien en ignorant, lui aussi, sa part d’Orient. » (74) L'Europe se termine en Israël, proclamait Benyamin Nentayahou, notre victoire c'est la victoire de la civilisation judéo-chrétienne contre la barbarie, disait-il.

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