Aménager les villes : un enjeu contemporain qui doit prendre en compte l'agriculture
Sébastien Marot, Prendre la clef des champs. Agriculture et architecture, Wildproject, 2024, 304 p.
Lien historique entre l'architecture et l'agriculture : le temple dorique pourrait être une transposition monumentale des greniers à grains (27).
Albert Pope, proposa en 1996 des plans de lotissement en arête de poisson comme l'ADN de l'urbanisation occidentale après la deuxième guerre mondiale, plans liés à la voiture individuelle, disloquant la grille centripète et centrifuge de la ville ouverte. Plus récemment, il imagine des corridors verts renaturés, des puits de carbone forestiers et une filière de construction en lamellé–croisé afin d'intégrer le développement urbain dans le cycle du carbone.
La révolution urbaine a eu lieu dans des régions (croissant fertile, Chine, les Andes, le Mexique) où des écosystèmes sont naturellement riches de grandes vallées fluviales et de marais inondés par des crues fertilisantes.
Françoise Cholay a distingué trois courants dans l'urbanisme :
- le progressisme qui envisageait un changement de nature des organismes urbains avec une ségrégation de ses fonctions pour plus d'efficacité.
- Le culturalisme voyant dans l'urbanisation une spécificité qu’il fallait comprendre afin de les décliner dans les extensions à venir.
- Le naturalisme pour qui l'extension urbaine était à comprendre dans sa relation avec la nature et les caractéristiques mêmes du territoire où ça avait lieu : les paysages environnants, les caractères topographiques, pédologiques, hydrographiques, comme colonne vertébrale de ces organismes.
Parallèlement, l'agriculture devient réflexive avec à la Renaissance l'imprimerie qui facilite la redécouverte des agronomes romains et favorise l’émergence de quelqu'un comme Olivier de Serres cherchant à améliorer les rendements au moyen de l'investissement et de la recherche, avec un courant spécifique encourageant l'investissement de l'agriculture, les physiocrates.
Cette approche industrielle au XIXe siècle fut un énorme succès en matière de production alimentaire avec des rendements par hectare qui doublèrent voire triplèrent en quelques décennies. Les ouvriers agricoles des pays industrialisés pouvaient produire jusqu'à 120 fois ce à quoi parvenaient les paysans travaillant à la main, entraînant une réduction considérable du nombre de fermiers.
Des discours alternatifs virent le jour, comme celui d'Albert Howard à la fin du XIXe siècle, disant que la soutenabilité reposait sur le recyclage et l'entretien de la matière organique, car il prédisait que l'agriculture industrielle empoisonnerait l'environnement, ruinerait la matière organique, précipiterait l'érosion des sols et conduirait finalement à une chute de rendements. (103)
Par la suite Colin Moorcraft, né en 1947, identifie trois principes pour une technologie post industrielle :
- la coopération : chaque élément devrait être capable de remplir plusieurs fonctions et inversement, chaque fonction devant pouvoir être remplie de plus d'une façon.
- l'intégrité : technologie devant pister, intégrer et recycler le maximum des intrants et leurs externalités au lieu de viser une efficacité abstraite.
La flexibilité : technique légère, compréhensible et adaptée pour répondre à une variété de situations sociales, évoluer localement sans requérir un plan directeur et donc vivre de façon autonome, hors du système technocratique.
Il fondait ainsi une sorte d’alterfonctionnalisme modelé sur les systèmes naturels plutôt que sur les systèmes industriels.
Un autre modèle d'aménagement multidimensionnel est apparu avec la permaculture. C'est un système total qui intervient en surface mais aussi en profondeur depuis le système racinaire du sol jusqu'aux atmosphères de la Canopée pour stimuler la cohabitation de multiples espèces de plantes et d'animaux : « une palette dense de niches écologiques en interaction. » (189) C'est une transposition de la conception architecturale dans le champ élargi de l'agriculture. Ce concept répond à la demande de descente énergétique au lieu des principes industriels (économie d'échelle, standardisation, ségrégation, des fonctions, etc.) car « elle s'efforce ainsi de s'instruire et de s'inspirer de ceux qui opèrent dans les écosystèmes (comme la coopération, la complexité, l'intégration, la résilience, la flexibilité etc.). » (193)
Ivan Illich ajoute ses réflexions : pour lui, il existe « des seuils de développement (en taille, puissance, vitesse, complexité, etc.), à partir, desquels les moyens, c'est-à-dire l'outillage, les technologies et les infrastructures (et les quantités d'énergie qu'ils mobilisent), quel que soit leur statut de propriété, public ou privé, se retourne contre les fins qu’ils sont censés satisfaire. Au-delà de ces seuils critiques, l’écart ne cesse de se creuser entre une élite qui profite de ces innovations et une majorité que ces dernières marginalisent : les moyens mobilisés, cessent d'être conviviaux, c'est-à-dire d’étendre ou de stimuler effectivement l'autonomie et l'initiative des gens, et se mettent au contraire à asservir ces derniers, ainsi que leurs lieux de vie, à leur propre régime. » (211)
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