Honoré de Balzac : Eugénie Grandet

 


Honoré de Balzac,
Eugénie Grandet, Folio Gallimard, 1972 (1834), 277 p.

Voilà un livre formidable ! Un roman classique dit-on. Peut-être alors qu’une des marques du classicisme est qu’il est indémodable. L’histoire porte sur un Harpagon de l’après Révolution, un tonnelier provincial, qui jour après jour s’enrichit autour de cette activité, et bientôt d’autres. Sa marque de fabrique est l’avarice, une avarice crasse, celle des hommes riches qui pillent leur femme et leur enfant. Car le bonhomme a une fille, Eugénie, qui donne le relief au roman. L’argent de son père a de quoi attirer les convoitises alentours, et voilà que des familles rivales, Cruchot et Grassin, jouent des épaules pour marier un des leurs avec la promise. La lutte est féroce, et le père observe le jeu, pragmatique :

« Ces gens-là, dit le prêtre à l'oreille de l'avare, jettent l'argent par les fenêtres.

Qu'est-ce que cela fait, s’il rentre dans ma cave ? répliqua le vigneron. » (54)

Mais voilà que son neveu débarque, d’un frère ayant fait faillite et s’étant donné la mort. Le père doit non seulement prendre en charge le garçon (ce qu’il évite bien entendu toujours par avarice), mais aussi lui annoncer la nouvelle (alors « qu’il dort comme un sabot »), et gérer les sentiments naissants d’Eugénie pour son cousin. Or ce qui l’afflige le plus c’est précisément que son neveu est sans argent :

« Vous avez perdu votre père ! Ce n'était rien à dire. Les pères meurent avant les enfants. Mais : vous êtes sans aucune espèce de fortune ! Tous les malheurs de la terre étaient réunis dans ses paroles. » (109)

Il faut donc l’éloigner de sa fille, ce qu’il fait en l’expédiant aux Indes. Mais après qu’il a failli perdre femme et enfant encore pour une question d’or, il affronte à son tour le grand âge et la mort. Sa fille hérite et fait un mariage de prestige. Et bientôt se retrouve veuve. « Ce noble coeur, qui ne battait que pour les sentiments les plus tendres, devait donc être soumis aux calculs de l'intérêt humain. L'argent devait communiquer, ses teintes froides à cette vie céleste, et donner de la défiance pour les sentiments à une femme qui était tout sentiment. » (253) Quant au cousin ayant fait fortune, il renie sa promesse car lui aussi est frappé par l’ambition de faire un beau mariage aux détriments de ses sentiments. Bref, de bout en bout une leçon magistrale sur l’argent qui corrompt tout, dans une langue enlevée et riche, des dialogues percutants et drôles.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Un groupe majeur de la musique progressive

Jana Cerná : Pas dans le cul aujourd'hui

Bernhard Schlink : La petite-fille