Le colonialisme : histoire et traces

 


Marc Ferro (sous la direction de), Le livre noir du colonialisme. XVIe.–XXI siècle : de l'extermination à la repentance, Robert Laffont, 2003, 843 p.


I. L'extermination

Yves Béno : la destruction des Indiens de l'aire caraïbe

La colonisation européenne accumule les viols, et les meurtres, comme si les Espagnols « prenaient leur revanche d'un catholicisme rigoriste en passant outre à toute règle morale à l'égard des peuples dits païens. » (42)

Pap Ndiaye : l'extermination des Indiens d'Amérique du Nord

Bien qu'on ne puisse chiffrer le nombre d'indiens vivant en Amérique du Nord avant l'arrivée des Européens vers 1500 (une fourchette de 6 à 8 millions de personnes), il ne restait plus que 375 000 personnes vers 1900 : une catastrophe démographique d'une ampleur probablement unique dans l'histoire de l'humanité. Un déclin dû aux maladies (certaines répandues volontairement comme la variole), aux guerres, aux massacres, aux déportations, aux migrations aussi.

Alastaire Davidson : une race condamnée : la colonisation et les Aborigènes d'Australie

Les Aborigènes considéraient leur territoire comme leur bien propre et le combattaient pour le défendre (contre l'idée du territoire étant occidental). Il existait un commerce sexuel sur une vaste échelle et la progéniture en résultant recevait un soutien quasi officiel car faisant partie d'un programme d'élimination biologique du sang noir. (86) Sur place, les conservateurs se firent les complices du transfert forcé des enfants aborigènes, et le premier ministre australien s'obstine à ne pas demander pardon


II. La traite et l'esclavage


Marc Ferro : autour de la traite et de l'esclavage

Les esclaves du sud des États-Unis. L'esclavage aboli en 1848 gêne la politique de conquête coloniale car contrecarre les projets d'annexion par les Français de sociétés indépendantes et esclavagistes d'Afrique de l'Ouest. Pour que d'autres puissances ne prennent pas la place de la France, il fallait permettre à des populations possédant des esclaves de se placer sous la dépendance de la France. De plus cette suppression de l'esclavage allait contre le Coran. Pour se rallier ces indigènes une fois soumis, on les dénomme sujets et non citoyens français et donc hors des dispositions du décret de 1848. Les administrateurs les nomment désormais captifs plutôt qu'esclaves voir serviteurs et justifient ces termes en disant qu'ils sont moins maltraités que les prolétaires en France. Ainsi de jusqu'en 1905, c'est la non application du décret de 48 qui est la pratique. Mais alors se pose le problème du travail libre car l'esclave libéré peut potentiellement devenir un vagabond, alors il devient astreint au travail forcé contre lequel une des solutions est de devenir tirailleur (pour les sénégalais).

Pap Ndiaye : Les esclaves du sud des États-Unis

La culture afro-américaine émergea de cultures africaines transformées par l'expérience de l'esclavage car ils venaient de régions culturellement et socialement diverses. L'esclavage fut fondateur : du point de vue économique, mais aussi du point de vue des relations entre noirs et blancs, la domination raciste ne s'effaçant jamais complètement.


III. Dominations et résistances

Le Nouveau Monde

Carmen Bernand : impérialismes ibériques

L'impérialisme fut d'une autre nature que les empires britanniques et français, il fut le prolongement de la reconquête chrétienne des royaumes musulmans qui s'était développé dans la péninsule depuis le début du VIIIe siècle. Aux intérêts politiques et économiques s'ajoute l'évangélisation des Indiens et l'extension du christianisme aux dépens de l'islam. Les conquistadors n'étaient pas des colons mais des entreprises privées et leur projet n'était pas de cultiver la terre, mais de vivre au détriment des laboureur indiens. Cette colonisation du continent américain s'inscrit dans un processus de globalisation et d'intégration de populations vivant isolées du vieux monde. Les plantations de canne à sucre, les moulins, l'argent des mines furent les principales sources de profits.

Jacques Poloni–Simard : l'Amérique espagnole : une colonisation d'Ancien Régime

La catastrophe démographique, l'exploitation des mines, le contrôle des espaces et des hommes, incitent à parler de colonisation d'ancien régime, et elle détermina la formation d'une société coloniale originale. Dans ce processus, il y a une conception racialiste de l'Indien aussi prégnante que la conception juridique qui jette les bases institutionnelle d'une nation indienne. Après que le régime colonial a disparu au XIXe siècle, la figure de l'indien ne disparaît pas pour autant : croyances, coutumes, langues, mais aussi imaginaire et représentations sociales. De nouvelles formes de dépendance voient le jour, qualifiées de néo-servage, nouveaux rapports sociaux qui relèvent de rapports de classe plutôt que de relations hiérarchiques entre des ordres. Dans le même temps, les préjugés raciaux hérités de la période coloniale, continuent de s'exprimer et les pays issus de l'indépendance se sont construits sur l'exclusion de l'indien à la citoyenneté (exclusion du vote).

Par ailleurs, la fondation de villes représente l'une des principales innovations apportées par les Espagnols en Amérique, établies selon un plan en damier avec le regroupement des édifices manifestant les différents pouvoirs autour d'une place centrale.

Pascal Cornuel : Guyane française : du « paradis » à l'enfer du bagne

Leslie Manigat : Haïti : de l'hégémonie française à l'impérialisme américain


L'Asie

Thomas Beaufils : le colonialisme aux Indes néerlandaises

Après la Seconde Guerre mondiale, les Pays-Bas constituaient la troisième puissance coloniale après la Grande-Bretagne et la France. Leur richesse, notamment aux Indes avec la Compagnie des Indes orientales, est établie à partir du négoce d'épices (poivre, clou de girofle, noix de muscade, cannelle, camphre) acheminées aux Pays-Bas, puis revendues dans toute l'Europe. La Compagnie ne cherche pas alors à conquérir les territoires, mais plutôt à installer des relais et des comptoirs, évitant de se mêler à des guerres territoriales. Elle accorde une alliance et une protection militaire par exemple aux princes javanais qui commercent avec elle. En échange le souverain concède une partie des terres et encourage une culture à l'exclusion des autres. Sur le plan politique, la compagnie lui laisse le champ libre. Mais avec l'invasion de la Hollande par Napoléon, les affaires perdent de leur superbe avec la perte de puissance sur les mers, la concurrence, la diminution des recettes, et la compagnie est finalement dissoute en 1800. Avec cette faillite, l'État néerlandais prend le relais et devient responsable direct de l'exploitation coloniale et les colons se sentent désormais naturellement chez eux en toute légalité. L'esclavage ne disparaît pas, l'aristocratie javanaise s'accommode fort bien de ses pratiques dont elle bénéficie. Il est néanmoins aboli en 1859, les propriétaires étant indemnisés. Mais n'ayant souvent aucun moyen de substance les anciens esclaves restent au service de leur maître. Et donc malgré la loi, les pratiques esclavagistes se poursuivent encore longtemps. L’étau colonial se dessere en Indonésie, mais l'État ne développe pas les structures d'enseignement et le niveau d'éducation reste très bas. Ce sont donc des intellectuelles indonésiens formés en Europe qui sont à l'origine des mouvements nationalistes qui apparaissent au XXe siècle. Par ailleurs, l'occupation japonaise des Indes entre 1942 et 1945 contribue à faire voler en éclat, le prestige de l'oxydant et c'est ainsi qu'en 1945 et proclamé, l'indépendance de l'Indonésie entraînant le débarquement de troupes hollandais et donc le début d'une guerre d'indépendance. La médiation anglaise entraîne un accord avec l'instauration d'une union néerlando-indonésienne : s’il s'agit d'indépendance pour les Indonésiens, pour les néerlandais il s'agit d'une mission civilisatrice, fondée sur la morale et le puritanisme. Et c'est d'ailleurs cette morale qui empêche les néerlandais de voir la faute dont ils sont les responsables.

Jacques Pouchepadass : l'Inde : le premier siècle colonial

La conquête commence en 1757 et dure près d'un siècle pour donner lieu à la plus vaste entité coloniale de la planète, l'empire des Indes, duquel débouche lors de l'indépendance de 1947, quatre États : l'Inde, le Pakistan, le Bengladesh, la Birmanie. Cette conquête n'a pas obéi à un plan préconçu. La motivation des agents de l’East India compagnie (EIC) était de faire fortune et de rentrer au pays après. Aidés par le contrôle britannique sur le pays, ces agents pouvaient briser le monopole des pouvoirs indigènes, défier règlements douaniers et tribunaux, emprunter à bon compte et investir en imposant ses conditions à ses partenaires indiens. Comme dans le reste du monde, la conquête coloniale est le fruit d'un mélange de violences et d'intrigues avec la collaboration indigène, laquelle a des conséquences pour les générations indiennes ultérieures. C'est donc bien l’EIC, une compagnie de marchands, qui était à la tête d'un empire territorial, et qui suscitait en Grande-Bretagne des critiques continuelles. Mais le gouvernement britannique au XVIIIe siècle ne voulait pas assumer directement la conduite des affaires lointaines dont le cours imprévisible pouvait avoir de graves répercussions politiques. C'est avec la collecte de l'impôt que ces commerçants eurent des fonctions de gouvernement, mais aussi entretenir une armée, maintenir l'ordre, rendre la justice. Mais les maigres effectifs des expatriés ne suffisaient pas et il fallait donc recouvrir un appareil de gouvernement indigène. En particulier, l'armée était l'une des plus grandes du monde de l'époque, mais composée presque entièrement d'indigènes et dont la loyauté était conditionnée par la régularité du versement de la solde. L'impôt lui-même avait un rendement important et c'est donc le contribuable indien qui finança la poursuite de la conquête coloniale. C'est lui aussi qui permit d'acquérir l'opium pour la vente illégale en Chine. L'Inde ne fut jamais une colonie de peuplement car les conditions sanitaires et climatiques étaient réputées meurtrières. L'Inde était plutôt une colonie d'exploitation dont l'objet principal de commerce résidait dans les cotonnades du Bengale. Cet aspect mercantile persista : il s'agissait d'exporter à travers le monde des marchandises exotiques de vieilles traditions et donc étrangères à la modernisation technologique, à la production de masse, aux pratiques concurrentielles dans lesquelles la métropole était pourtant engagée. On développa l'éducation anglaise en subsistant notamment l'anglais au persan comme langue officielle de l'administration et des tribunaux afin de former une classe d'indiens anglophones servant d'intermédiaires entre le gouvernement britannique et le peuple des gouvernés. Si la colonisation a modernisé l'Inde, elle l'a aussi figée dans ses traditions, « conformément à l'image « essentialisée », statique et intemporelle de l'indianité qu’élaboraient alors les orientalistes européens. » (291) Cependant, un effet de la colonisation fut de fixer les populations migrantes, et donc de réprimer les modes de vie nomades, « classés comme primitifs, immoraux et improductifs. » (292)

Marie Fourcade : les Britanniques en Inde (1858–1947) ou le règne du cyniquement correct

L'implantation britannique en Inde ne coûte rien au trésor britannique, puisque le maintien des troupes est à la charge des Indiens, ce qui est là une marque de cynisme. On y observe la lutte entre la civilisation industrielle et des civilisations principalement agricoles. Les peuples coloniaux se soulevèrent au nom des idéaux par lesquels les Européens avaient combattu chez eux plus tôt, avec comme point d'orgue, la Seconde Guerre mondiale et la lutte contre la tyrannie nazie et fasciste qui eurent une résonance dans le monde entier. Mais les Britanniques respectaient les coutumes et les croyances religieuses locales, établirent l'ordre dans la péninsule et contribuèrent à unifier les Indiens en leur donnant à tous un même ennemi, cette unification prenant aussi la voie de la langue anglaise, avec en plus un système uniformisé d'administration civile et judiciaire, un système de poids et de mesure et de monnaie, et la création d'un marché indien unifié. Dans le pays il advint ce qu'il ce qu'on peut observer partout ailleurs quant au choc entre une économie capitaliste moderne et une économie agricole et artisanale laquelle vola en éclat. Gandhi se préoccupait de la réforme de l'homme et Nehru son disciple, pensait à la libération de l'Inde. À ses yeux, « le colonialisme était un système qui dégradait les oppresseurs comme les opprimés : il fallait le détruire. » (308) l’intervention anglaise disloque les structures économiques traditionnelles, brasse les populations, bouleverse l'environnement écologique exposant les masses indiennes à des maladies importées. On estime que 10 % des 280 millions de décès recensés en Inde entre 1901 et 1921 seraient liés à la nouvelle écologie pathologique. La rationalisation anglaise s'attaquait aux populations nomades, et ne triait pas parmi les bergers nomade, les bardes, les ménestrels, les mendiants et les marchands, ni parmi les castes et les tribus. Ils utilisent le commerce de l'opium comme moyen de financer leurs achats d'épices, de tissus de coton et de soie. Ils en font un outil d'empire décisif. On peut parler d'argent de la drogue au sens où le financement d'une politique impériale est délibérément obtenue par la drogue en misant sur la toxicomanie de l'autre. Par exemple, on drogue les enfants pour qu'ils ne dérangent pas leurs mères quand elles travaillent au champ ou dans les fabriques.

Pierre Brocheux : le colonialisme français en Indochine

« On ne saurait analyser de façon pertinente le colonialisme en ignorant la référence racialiste créée par le scientisme du XIXe siècle. Jules Ferry adhérait comme beaucoup d'autres républicains et « humanistes » aux notions de races supérieures et inférieures. » (357) Mais il voulait les civiliser et non pas les éliminer.

La conquête française en Indochine se traduit dès le début par l'expansion économique et l'exploitation des ressources naturelles et humaines. Par exemple, la société des charbonnages du Tonkin place Indochine au deuxième rang des producteurs de charbon d'extrême orient, derrière la Mandchourie en 1939, ou encore les vastes domaines consacrés à la culture du riz, de l' hévéa., du café ou du thé. De grands domaines sont constitué aux dépens des petits défricheurs indigènes qui ignorent la législation ou la procédure de immatriculation foncière. Paul Doumer établit le monopole d'État du sel, de l'alcool et de l'opium et en fait les trois ressorts du système fiscal de l'Indochine. Trois impôts les plus rentables jusqu'à la seconde guerre mondiale assurant 29 % des revenus en 1942. La IIIe République a même rétabli la gabelle d'avant la révolution française. Le régime colonial renforce même la mosaïque ethnique par les flux migratoires, sans que ne se produise un amalgame et prépare ainsi les heurts, inter-ethniques se produisant dans les États post-coloniaux. Chez les indigènes, il existe aussi une vision hiérarchisée de type non racialisée des sociétés, avec l'idée d'un progrès de l'état sauvage à celui de civilisation. Cette vision détermina le ralliement de l'élite Vietnamienne à la modernité européenne. La domination française, jamais acceptée de façon définitive, entraînait un appareil de surveillance et de répression perfectionné et développé avec notamment des sévices corporels fréquents. Ce qui n'empêcha pas la contestation et la révolte dès les années 1920. Les Vietnamiens mirent à profit le vide politique en 1945 pour restaurer un État indépendant proclamé République Démocratique du Vietnam 2 septembre 1945, ce que refusa la France voulant garder son rang de puissance mondiale. En octobre 45. La guerre ravage la Cochenchine entraînant 4 à 500 000 morts du côté Vietnamien.

Claire Mouradian : les Russes au Caucase

Dès le XVIe siècle, la dimension impériale apparaît en Russie (Khazan, Astrakhan, Sibérie). Les territoires conquis représentent généralement les marches d'autres empires, des zones souvent envahies et partagées avec des entités politiques plus structurées et autonomes et une mosaïque ethnique et religieuse. Leurs élites recherchent parfois l'appui des Russes comme autrefois d'autres conquérants pour s'émanciper de leurs maîtres du moment, ou bien pour régler leur querelles intestines. Cela donnera naissance au mythe de « l'union volontaire avec la Russie » prolongeant un thème plus classique du rassemblement des terres russes, pratique issue de la féodalité de cooptation des élites loyales des zones conquises. Ainsi, les noblesses tatare, balte, georgienne seront intégrées dans l'armée et l'appareil d’État impérial. Dans sa constitution d'empire du XVIe au XXe siècle, c'est la conquête du Caucase qui s'apparente le plus à l'aventure coloniale européenne tant au niveau des méthodes que des visées économiques et commerciales qu'à celui des effets sur les peuples de ces régions.

Pierre-François Souyris : la colonisation japonaise : un colonialisme moderne mais non occidental

La création d'un empire colonial japonais dans la première moitié du XXe siècle est la seule tentative du genre menée par une puissance culturellement non occidentale. Les colonies qu'il développe sont contiguës à l'archipel. L'État japonais cherche à assimiler les territoires connexes comme la Corée, ressemblant ainsi plus à l'Angleterre en Irlande, plutôt qu'à la France en Indochine. « À l'époque de l'impérialisme moderne, les grandes puissances ne cherchent pas à constituer un territoire d'un seul bloc. La Russie et le Japon semblent seuls dans ce cas. » (409) On peut distinguer plusieurs phases de la colonisation japonaise : la première correspond à la formation de l'État japonais avec la soumission violente de certaines régions. La deuxième va de l'annexion de Taïwan (1895), aux années 1940–42 est marquée par l'assimilation culturelle forcée (Sakhaline, Corée, Mandchourie, etc.). La troisième de 1942 à 1945 implique la naissance d'un bloc économique soudé dans une logique de guerre mondiale. La domination de force n'empêche pas l'administration coloniale de favoriser par exemple l'hygiène publique en construisant des hôpitaux ou des dispensaires. Ou de construire un réseau ferré. L'assimilation se remarque par la langue d'enseignement comme en Corée avec le japonais. Un décret de 1939 exige même la japonisaton forcée des noms de famille coréens, cette naturalisation se heurte à une vive résistance. En 1945, les victoires américaines débouchent partout sur le chaos, en Chine, en Corée, en Indochine, en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines. Un seul pays échappe aux affrontements armés : le Japon. « Le colonialisme japonais apportait une réponse à la menace occidentale en Asie, et se concevait aussi comme un moyen de sortir l'Asie du sous-développement. En voulant unifier et uniformiser, il niait la réalité existentielle des peuples dominés et créait les conditions d'un vif ressentiment à son égard. » (428)


L'Afrique

Elikia M’Bokolo :Afrique centrale : le temps des massacres

En Afrique, on compte trois colonisations, portugaise, française et belge. La première a lieu au Congo à la fin du XIXe siècle, avec un syndicat financier rangé derrière Léopold II, regroupant les intérêts hollandais et britanniques. La mise de départ est importante compte-tenu de l'immensité du territoire (80 fois la Belgique) et pour dissuader les autres puissances de faire valoir leurs droits. Léopold investit donc une partie des revenus de sa fortune. Mais le système en place doit lui permettre de recouvrir sa mise et de faire des bénéfices substantiels. Un système reposant sur l'élimination des entreprises privées au profit de l'État, la confiscation des terres indigènes, le monopole de l'État sur les produits les plus rentables. En plus du pillage des ressources naturelles, les Africains sont contraints au travail forcé, au portage, aux corvées, aux livraisons de vivre, aux impôts et taxes, etc. Dans ce système, tout est mis en œuvre pour susciter les divisions entre les Africains, notamment en recrutant parmi les populations indigènes des militaires qui gagnent ainsi quelques privilèges. La répression est terrible, notamment si les livraisons sont de caoutchouc sont insuffisantes, la règle et l'usage imposant aux soldats de couper une main au coupable, généralement la droite, main qu'on rapportait le plus souvent séchée pour prouver qu'on avait puni les ressortissants du village rebelle. « Par ses caractéristiques majeures –organisation à une large échelle d'une économie concessionnaire de pillage, mise en œuvre d'un système généralisé de répression, désorganisation et souffrance qui ont résulté pour les populations locales, bénéfices colossaux recueillis par les initiateurs de cette entreprise –, le Congo servit de référence et de modèle pour les colonies voisines. » (446) Il fut transféré ensuite à la France, laquelle croyait en la nécessité et la possibilité de civiliser l'Afrique par le christianisme et le commerce. On peut se demander aujourd'hui, si le colonialisme ne constitue pas un héritage empoisonné, dont on repère la trace dans la violence des États qui ont servi la colonisation et dans celle aussi des sociétés elles-mêmes.

Catherine Coquery–Vidrovitch : la colonisation arabe à Zanzibar

La capture des femmes y est particulièrement appréciée, car elles assurent le travail des champs et l'expansion biologique des groupes. Elles sont les premières à être saisies en cas de représailles ou cédées en cas de litige ou de dette. L'économie Zanzibarite est une économie mixte, fondée sur la traite négrière, sur la chasse à l'ivoire et sur la production agricole vivrière et d'exportation.

Elikia M’Bokolo : Les pratiques de l'apartheid

L'apartheid constitue la dernière phase, la plus violente, du processus de domination et d'exploitation mis en œuvre aux dépens des Africains dès le début de la présence européenne en Afrique du Sud jusqu'aux années 1990. On y met en place le développement séparé en assurant la sécurité de la race blanche et de la civilisation chrétienne. Cette économie coloniale est fondée sur deux types de capitalisme : le minier et industriel contrôlé par les Britanniques, et l’agraire, entre les mains des Boers, s'appelant afrikaners. Pour ces deux branches, on exproprie massivement les propriétés foncières des Africains, on recrute massivement de la main-d'œuvre (africains prolétarisés). Pour l'exploitation de la terre, on utilise des travailleurs en situation de quasi servage. On utilise aussi des ouvriers blancs qui partagent comme leurs maîtres, la peur de la concurrence potentielle constituée par les travailleurs noirs. C'est pourquoi ils adhèrent au principe de la barrière de la couleurs et au système d'emplois réservés. Les fondements de l'apartheid remontent à la première moitié du XXe siècle, avant leurs fondements juridiques et pratiques (1948). Alors que la population est divisée en trois groupes : les blancs, 20 % de la population en 1951 au sein desquels on range aussi les Japonais, les colorés, 11 % de la population, et enfin les noirs, 70 % de la population.

Marc Ferro : la conquête de l'Algérie

« On s'inscrivant contre la traite, l'esclavage et la piraterie, la conquête de l'Algérie se place dans un colonialisme de deuxième type, celui qui préfigure sa vocation civilisatrice. » (490) Dans un premier temps, les réminiscences romaines, la passion religieuse et les notions d'honneur et de gloire, bref une idéologie d'ancien régime joue un grand rôle. Une seconde période commence après 1871 où le colonialisme triomphe et chez les victimes la résignation gagne. Mais les pratiques locales demeurent comme peut en témoigner un recueil de photographies de 1934 o,ù par exemple, on ne voit pas d'influence française dans les manières de cultiver ou de se nourrir, ni dans celles de tisser, de travailler ou de se vêtir. Ce sont d'ailleurs les régions les moins touchées par la colonisation, et donc les plus traditionnelles, qui seront les foyers de la révolte. Racisme et omniprésent. « Au degré zéro, on tutoyait l'Arabe. Même si on vivait ensemble, on ne se croisait pas, et l'interdit venait autant des Arabes que des Français. » (499) La métropole a fait appel pour sa défense à l'empire en 1914 puis en 1939, sous-entendant qu'en échange de leur sacrifice, les colonisés obtiendraient des droits individuels et collectifs, promesses non tenues et qui ont joué dans l’essor des mouvements de libération après 1918, et après 1945.

Marc Ferro : En Algérie : du colonialisme à la veille, de l'insurrection

Après la guerre, au moment des élections, on pouvait se réclamer encore du régime de Vichy en Algérie. Le système électoral local avec le double collège, signifiait qu'un million de français d'Algérie disposait à l'assemblée algérienne d'autant d'élus que les musulmans huit fois plus nombreux. Le scrutin était ouvertement truqué. Les opposants à la France sont avant tout musulmans (et non pas matérialistes). La résistance débute par le terrorisme jusqu'à ce que le problème soit internationalisé grâce à l'appui de Nasser et du bloc islamo-arabe. Dans ce contexte, le parti communiste algérien était complètement dépassé. Il cherchait à coller au FLN, lequel suscitait les maquis et le passage dans l'illégalité. Le PCA participa à la lutte armée, alors qu'il avait perdu ses sympathisants et ses électeurs. Alors que 10 ans auparavant, il affirmait que l'indépendance ferait de l'Algérie une colonie des États-Unis. Mais à l'époque « il ne venait à l'esprit de personne que les Arabes d'Algérie et le FLN l'emporteraient et sauveraient leur identité ici comme ailleurs, grâce à l'islam, après avoir triomphé à la fois de la puissance coloniale et du parti communiste. Comme la révolution d'octobre 1917 en Russie, tout cela eut paru inouï et était impensable. » (513)

Yves Benot : la décolonisation de l'Afrique française (1943–1962)

Après guerre, le vocabulaire est transformé : le ministère des colonies est remplacé par le ministère de la France d'outre-mer, et l'empire par l'union française, mais le tabou reste celui de l'indépendance. Bien que la métropole se vante d'avoir vaincu les fascismes, elle va utiliser les mêmes méthodes que ses oppresseurs, à savoir employer la torture à grande échelle, ce qui aura des conséquences sur la vie intellectuelle et morale des colonisateurs comme des colonisés. Une réforme voit le jour consistant en la suppression de l’indigénat, autrement dit la confusion entre les pouvoirs exécutifs et judiciaires qui marquait le pouvoir absolu de l'administrateur, lequel n'allait pour autant pas disparaître immédiatement faute de corps judiciaire tout près sous la main. Ce qui change c'est l'orientation économique, voulue par la métropole puisqu'une loi de 1900 prescrivait aux colonies de se financer sur leurs propres ressources sauf pour les dépenses militaires. Désormais avec la création du fond d'investissement pour le développement économique pour l'outre-mer (FIDES), la métropole engage des investissements importants, notamment dans le domaine des transports, routes et ports, ainsi que pour l'éducation. Des massacres à grande échelle ont lieu un peu partout (Algérie, Madagascar, etc.) et surtout l'emploi massif de la torture en Algérie.

Catherine Coquery–Vidrovitch : évolution démographique de l'Afrique, coloniale

On peut distinguer trois périodes : le pillage lors de la phase primitive de la colonisation, provoquant un dépeuplement massif ; une phase de redressement où la population se stabilise voire commence à redémarrer ; enfin une amélioration de la santé des colonisés par la prise en compte des autorités coloniales et un essor démographique brutal. Vers 1860, l'Afrique, comptait 150 millions d'habitants et il n'y en avait plus que 95 à la fin du XIXe siècle. La première cause de ce développement vient d'abord des maladies nouvelles contre lesquelles les populations ne sont pas protégées, avec un exemple typique, le Congo belge, où avec la combinaison de la guerre, de la maladie et de la faim, la population baisse de moitié entre 1876 et 1920. Au Gabon, sous l'influence des maladies vénériennes, c'est la stérilité des femmes qui s'enclenche : 40 % de celles nés entre 1915 et 1919.


IV. Le sort des femmes

Arlette Gautier : femmes et colonialisme

Les esclaves étant composés à deux tiers d'hommes, cela marque les rapports entre les sexes, que ce soit en Afrique ou aux Antilles. L'esclavage était connu sur le continent africain avant que les Européens ne débarquent. C'étaient très majoritairement des femmes à cause de leur rôle de reproduction, mais aussi de leurs qualités de travailleuse et leur polyvalence. Le rôle éducatif revendiquer par les pays colonisateurs n'a jamais été vraiment réalisé. En 1950 à la fin de la période colonial, le pourcentage d'enfants dans le primaire était d’après l'Unesco de 21 % dans les colonies anglaises, 16 % dans les colonies belges, 10 % dans les colonies françaises, et 5 % dans les colonies portugaises. L'autre volet revendiqué par les colons, relève de la mise en place de structures sanitaires. Pourtant, l'espérance de vie ne dépassait pas 35 ans en Afrique française en 1955, et il faudra attendre l'indépendance pour que les famines disparaissent en Inde. La morale chrétienne portée par les missionnaires était la suivante : élimination de la liberté sexuelle, prémaritale et conjugale, du droit au divorce, de la polygénie, mais aussi de la polyandrie, subordination des épouses à leur mari. Un Montagnais-Nakapi à qui un jésuite expliquait que si la femme était infidèle, on ne savait pas si l'enfant était bien celui du mari, répondit : « vous, les Français, vous n'aimez que vos enfants, alors que nous aimons tous les enfants de notre tribu. (cité p.596) À travers les romans coloniaux où les femmes colonisées s'offrent ou sont offertes par leur père ou leur mari, ou les cartes postales montrant des femmes dénudées, s'est construit un imaginaire colonial masculin, le harem colonial, dans lequel les femmes sont disponibles. Imaginaire bien différent de celui de l'Europe où l’Église surveille de près l'image des femmes.


V. Représentations et discours

Marcel Merle : l'anticolonialisme

Pour justifier leur politique, les gouvernements ont besoin d'une idéologie, précisément le colonialisme. Les Européens ont été les seuls parmi les grands colonisateurs (Rome, l'islam) avoir suscité un mouvement de contestation interne lequel au cours des trois derniers siècles a toujours été minoritaire au sein des métropoles. Il est variable, en vertu des concessions qu'il doit parfois faire à la colonisation. Ce n'est donc pas une doctrine unitaire et cohérente, mais plutôt un faisceau de propositions qui repose sur des motivations variées. L’Église catholique ayant accompagné la colonisation, politiques et religieux durent cohabiter où alternèrent des phases de tension et de compromission. Au XVIe siècle, la protestation émane du clergé espagnol, témoin des atrocités de la conquête. Après la contestation morale et l'humanitaire arrive un débat théologique interrogeant le droit de colonisation (fin du XVe siècle.) émergent des idées nouvelles exprimant le droit naturel de société et de communication, reposant donc sur une conception de la communauté politique universelle. Idée reprise un siècle plus tard par Francisco Suárez, qui exprime une idée « d'un gouvernement mondial, transcendant les particularismes nationaux et revendications souverainistes. » (613) Par ailleurs, la papauté est intervenue à plusieurs reprises pour la défense des droits des indigènes, et aussi pour le respect des usages du pays. Pour mener sa mission, l’Église a recours aux indigènes locaux qu'elle convertit. Quant à l'anticolonialisme profane, il est constitué de diverses composantes, dont le point de vue des philosophes avec Michel de Montaigne, qui dit « qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce combat rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas son usage. Jean-Jacques Rousseau ne traite pas le problème colonial, mais fait un vigoureux plaidoyer en faveur de l'égalité dont l'égalité entre les peuples, il condamne aussi l'esclavage comme droit car illégitime (même s'il est légal). Les critiques émanent aussi des utilitaristes qui évaluent le problème en terme d'investissement et de rentabilité. Et donc si le plateau de la balance penche en faveur du déficit alors la colonisation doit être abandonnée. Au fur et à mesure, l'observation s'affine, et une menace qu’observent les économistes vient du principe de l'exclusif et des privilèges octroyés aux États colonisateurs et ses ressortissants. Adam Smith surenchérit en fondant,une théorie du laisser-faire et laisser-passer qui doit s'appliquer à l'intérieur des frontières, mais aussi à l'extérieur des États. Les révolutions démocratiques du XIXe siècle incitent à abandonner les discussions doctrinales pour le terrain de la politique. Celle-ci est alors caractérisée par l'âge d'or de l'impérialisme (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, États-Unis, Italie).

Catherine Coquery–Vidrovitch : Le postulat de la supériorité blanche et de l'infériorité noire

Le système colonial se maintient grâce à la ségrégation entre les esclaves et les maîtres, mais aussi entre les esclaves et les hommes libres de couleur. « L'effet espéré était d'associer la couleur noire à la servitude et la couleur blanche à la liberté. » (655) L'union interraciale symbolise la plus odieuse des infamies. C'est ainsi que s'élabore en métropole, un discours raciste notamment chez les philosophe : « le sauvage incarne, l'État de nature, par opposition à celui de culture. Si on lui accorde une sagesse innée, c'est en raison de son ignorance même qui l'a mis à l'abri des méfaits de la civilisation. Comme il doit son bonheur à son état primitif, la sensibilité occidentale à son égard est empreinte de condescendance, ce qui n'est pas loin d’un mépris implicite. » (660) À la pensée des colons et celle des philosophes, s'ajoute celle des scientifiques, notamment des naturalistes qui introduisent le concept de race. Concept qui passe de la description (chez Buffon) au racisme avec l'idée d'inégalité. Concept qui se raffine si l'on peut dire avec l'idée d'inégalité culturelle (l'idée de civilisation) fondée pour les Français sur un racisme anti-arabe, exacerbé en Algérie avec la supériorité des berbères sur les arabes. On retrouve sous la plume de certains écrivains (Jules Verne), les clichés du méchant sauvage, abruti. Le mot ne disparaît pas au cours du XXe siècle, y compris dans les publications de l'Unesco, sous la plume de Michel Leiris ou Claude Levi Strauss. « Le concept bénéficie d'une série de propositions de définition, visant à en relativiser le sens, ce qui souligne surtout son imprécision, mais ne pose jamais son inutilité scientifique.» (683) C'est Albert Jacquard, qui en 1978, explique que la notion de race n'a aucun fondement biologique.

Sylvie Dallet : filmer les colonies, filtrer le colonialisme

Il existe plusieurs milliers d'œuvres consacrées aux colonies. Le cinéma colonial filme le mouvement et les gestes des indigènes plus que leur visage. Celui-ci se déplace mystérieusement et le colon le découvre avec précaution. L'indigène, en quelque sorte n'a pas d'espace pour lui. Les films liés à la décolonisation expriment aussi des nostalgies.

Mariella Villarasante Cervello : la négritude : une forme de racisme héritée de la colonisation française ? Réflexions sur l'idéologie négro-africaine en Mauritanie.

Hypothèse que la négritude est une forme de racisme, héritée de la colonisation française, et étrangère aux idéologies de l'altérité sociale chez les peuples africains. Elle est le produit d'une relation historique de différenciation. Elle est portée par des auteurs, comme Césaire ou Senghor, lequel dit qu'il « serait sot, de nier qu'il y ait une race noire, métissée, au demeurant, d'Arabo–berbères et de Khoisan. Mais, pour nous, la race n'est pas une entité : une substance. Elle est la fille de la géographie et de l'histoire. » (cité p. 729) Mais la négritude n'échappe pas chez Senghor à une forme d'essentialisme, puisqu'il mobilise les concepts comme celui de sensibilité (élaboré par les Européens).


Épilogue

Nadja, Vukovich : qui me demande des réparations, et pour quels crimes ?

La notion d'excuse peut relever de la stratégie politique, puisqu'en levant les tabous de son histoire, en reconnaissant les crimes et les victimes, en organisant les lieux (de mémoire), en garantissant, l'enseignement et donc en renforçant ainsi l'unité nationale, cette notion permet aux pays de faire place au deuil et à la commémoration et ainsi d'aller vers la réconciliation.

Les réparations sont souvent difficiles à obtenir. Par exemple, aux États-Unis, les promesses de remettre à chaque famille d'esclaves libérés du terrain et un animal ne furent pas respecter, même si en 2001 deux États, la Floride et l'Oklahoma, ont indemnisé des survivants noirs d'un massacre du début du XXe siècle. Mais il existe une jurisprudence qui permet aux victimes de droits de l'homme, d'exiger auprès des entreprises ou des successeurs d'entreprises ayant abusé d'elles, des réparations.

Les demandes des pays africains abusés sont de divers ordres : soutien au développement du continent africain pour son intégration dans l'économie mondiale, annulation de la dette sont quelques-unes des demandes émises. En oubliant souvent que la participation active des élites et des pouvoirs de certains pays africains dans le passé, entraîne des rancœurs encore aujourd'hui entre ethnies africaines.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Un groupe majeur de la musique progressive

Jana Cerná : Pas dans le cul aujourd'hui

Bernhard Schlink : La petite-fille