Considérations sur les dangers pesant sur l'information
Gérald Bronner, Les lumières à l'ère numérique. RAPPORT DE LA COMMISSION remis au Président de la République en janvier 2022, 110 p.
Multiplication des termes indiquant un monde informationnel, non sûr : désinformations, mésinformations, infox, fake news, théories du complot… Certaines logiques algorithmiques contribuent à ces logiques puisqu'elles se focalisent sur leurs capacités à capter l'attention car elles liées à des modèles commerciaux. En effet, la publicité programmatique constitue la source principale des revenus de ces médias.
Le chaos informationnel actuel vient de la dérégulation massive du marché de l'information avec le développement d'Internet, puisque la masse des informations disponibles n'a jamais été aussi grande, et surtout que chacun peut désormais peut verser sa propre représentation du monde sur ce marché. On observe donc une concurrence généralisée entre les points de vue non hiérarchisés selon des compétences. Des récits fantasmés se déversent donc sur la toile à propos du dérèglement climatique, de l'efficacité des vaccins, etc. Récits alternatifs qui construisent une contre société.
Sur Internet, l'information est pré-éditorialisée selon des logiques algorithmiques. Par exemple, sur YouTube 70 % des vidéos sont regardées en raison de la recommandation de la plateforme. Or les réseaux sociaux deviennent un mode majeur d'informations sur l'actualité, notamment pour les jeunes générations qui pourtant le considèrent comme le moins fiable. Ce sont souvent les affect notamment d'indignation qui sont relayés par exemple sur Twitter. Les plateformes deviennent des lieux d'expression conflictuelle plutôt que des espaces de discussion.
La première impression, même si l'information est fausse perdure y compris dans l'individu, c'est qu'elle est fausse. D'une manière générale on cherche sur Internet des éléments qui viennent confirmer notre propre point de vue. On appelle ça un biais de confirmation. Et la répétition d'une information erronée peut renforcer son pouvoir de persuasion. Aussi, existe-t-il un danger d'évoluer dans des réalités parallèles.
Un espace épistémique commun est donc nécessaire, c'est-à-dire que les arguments échangés soient commensurable, alors que le niveau de polarisation affective – le niveau des sentiments hostiles des citoyens à l'égard d'autres partis que leur – augmente régulièrement depuis 40 ans. Pour analyser ces processus de perturbation, découpage analytique en six sous thèmes :
1) Les mécanismes psychosociaux de la désinformation : l'individu humain est absolument dépendant des autres pour s'informer et nous possédons ainsi une propension à prendre pour vrai ce qui nous est communiqué. Mais c'est la caisse de résonance rendue possible par les réseaux sociaux qui rendent les fausses informations pesantes : pendant l'élection présidentielle américaine de 2016, les chercheurs ont relevé 115 infox pour Trump et 41 pour Clinton, mais sur Facebook, ces fausses informations ont été partagées 30 millions de fois pour Trump et 7 millions pour Clinton. La raison première de se fier à des fausses informations, relève probablement moins d'une motivation à y croire que l'incapacité à l’identifier comme telle, car nous évaluons généralement la véracité d'une information nouvelle à l'une de nos connaissances préalables. La nouveauté exige un effort cognitif, plus important, et un individu peut croire une information du fait de sa répétition.
2) Les logiques algorithmiques : elles induisent des effets de concentration, d'attention brefs, soudains et massifs (le buzz). Et les médias se livrent une compétition pour attirer l'attention des individus alors que les sources sont dispersées de manière gigantesque. Un des rôle des médias est d'éditorialiser les informations c'est-à-dire les sélectionner et les hiérarchiser. Ce processus est aussi à l'œuvre sur les plateformes, mais il est confié à l'algorithme qui utilise des modèles cachés susceptibles d'enfermer l'individu dans un espace délimité. Par exemple, Facebook, attribue plus de poids à des expressions d'indignation qu'à des simples likes, ce qui ne peut qu'entraîner que des effets de polarisation affective. Des effets d'autant plus délétères qu'une enquête montre que 59 % des individus transfèrent une information en ayant lu que le titre.
3) Économie des infox : les fausses informations peuvent être relayées sur des sites pourtant fiables, parce qu'elles permettent des rentrées d'argent importantes via la sponsorisation. Il y a ainsi un amalgame entre bonnes informations et publi-reportages.
4) Ingérence et influence étrangère : l'utilisation du numérique par des puissances militaires (comme l'État islamique) pour propager la propagande, pousser à la radicalisation, lever des fonds, organiser des départs, ou amplifier artificiellement des messages clivants, est avérée. Une des difficultés est de pouvoir nommer les choses au-delà de la confusion sémantique. Camille François propose un cadre d'analyse en forme d'ABC de la désinformation. A pour acteurs s'engageant dans des campagnes de manipulations, et cherchant à masquer leur identité ; B pour comportement trompeur pour amplifier la portée et la viralité de campagnes en ligne ; C pour contenu nocif ou malveillant, critère le plus subjectif. Une pluralité d'acteurs peuvent ainsi utiliser potentiellement diverses techniques. Ce n'est qu'à partir de 2017, que les plateformes ont été réunies pour lutter ensemble contre l'extrémisme en ligne, mais avec des résultats encore limités.
5) Droit et numérique : le dispositif actuel repose sur la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit de sanctionner les différentes formes de désinformation. On pourrait imaginer qu'il soit complété par un mécanisme de mise en cause de la responsabilité civile des diffuseurs de mauvaise foi de fausses nouvelles. Mais la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme estime que la possibilité d'exprimer publiquement des propos ou des informations inexactes, fait partie intégrante de l'exercice de la liberté d'expression. En France, le caractère répréhensible d'une fausse nouvelle suppose trois conditions : qu’elle ait fait l'objet d'une communication au public ; qu’elle trouble l'ordre public ; que sa diffusion ait été réalisée de mauvaise foi.
6) Développer l'esprit critique et l'éducation aux médias et à l'information : pour lutter contre le scepticisme voire le nihilisme développés par la fausse information, il faut encourager la capacité à évaluer correctement les contenus et les sources d'information à notre disposition. Mais on observe aujourd'hui que les médias traditionnels tendent à se comporter comme les médias sociaux en multipliant les hameçons attentionnels avec des informations fondées sur la peur ou la conflictualité. C'est que le marché est rentable : aux États-Unis en 2016, 85 % des recettes publicitaires ont été absorbées par Google et Facebook. En 10 ans les journaux traditionnels ont perdu la moitié de ce qu'il révoltaient en recette publicitaire tandis que Google multipliait ses ressources par 50. Il y avait 71 000 journalistes en 2008 aux États-Unis et plus que 39 000 en 2017. Aussi la pression concurrentielle réduit-elle le temps de vérification de l'information.
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