Le capitalisme travaille les pulsions
Benjamin Barber, Comment le capitalisme nous infantilise, Fayard, 2007, 525 p.
Idée que le capitalisme avec son ethos infantilisant est en train de s’autodétruire : donc soit il le remplace par une éthique démocratique, promouvant aussi l’égalité et la diversité (à côté du profit et de la consommation), soit il meurt.
Infantilisme : abêtissement de ce qui se vend et de ceux qui l’achètent dans une économie mondiale postmoderne qui produit manifestement plus que de nécessaire ; ainsi que l’effort pour transformer les enfants en consommateurs sur un marché où il n’y a jamais assez de clients. (14) = référence à Freud
Exemples en pagaille : distribution de sucettes dans les aéroports pour calmer les gens, les infos télévisées confiées à des entreprises de divertissement, la professionnalisation du sport dans les lycées, le port de string par des enfants, les adultes lecteur d’Harry Potter, etc.… (15-16)
« D’où le goût nouveau du consommateur pour la vieillesse sans dignité, la tenue sans cérémonie, le sexe sans reproduction, le travail sans discipline, le jeu sans spontanéité, l’achat sans but, certitude sans doute, la vie sans responsabilité, et le narcissisme dans le grand âge et jusque dans la mort sans une once de sagesse ou d’humilité. A l’époque où nous vivons, la civilisation n’est pas un idéal ou une aspiration, c’est un jeu vidéo. » (16)
Le marché capitaliste qui surproduit doit croître ou mourir. Problème : la pauvreté et les inégalités. Donc les pays développés qui représentent 60 % de la conso mondiale mais n’ont peu de besoin doivent être poussés à l’achat. Les USA consacrent en 2003, 16 milliards à l’aide et 276 à la pub !!
L’enfant veut ce qu’il veut quand il veut sans tenir compte des autres ; il en va de même pour l’homme enfant.
Autre signe : l’émergence d’adultes qui ne veulent pas d’enfants afin d’en être libéré.
La régression infantile c’est l’incapacité à distinguer entre le moi et le monde : soit la tentation de dominer le monde (triomphe du Moi ), soit celle de se fondre dans l’objet (triomphe de l’objet). Freud dit cela.
Différence très sensible avec le 1er esprit du capitalisme, qd le travail était une vocation au service d’un projet collectif de construction d’une nation (altruisme par rapport à l’égoïsme contemporain, p. 59)
Ceci dit, si on retrouve un esprit ascétique c’est dans l’obligation à consommer qu’il se trouve. Ainsi l’ethos qui anime ce capitalisme est une « compulsivité sans joie » (74)
Les figures obligées sont toujours les mêmes : le consommateur, l’entrepreneur aventureux, le comptable prudent, le directeur, mais l’importance relative de chacun d’eux n’est plus la même.
Pour pointer l’infantilisme, besoin de conceptualiser l’âge adulte : capacité à se maîtriser soi-même, tolérance pour les satisfactions différées, une faculté sophistiquée de penser de manière conceptuelle et séquentielle, une préoccupation de la continuité historique et de l’avenir, une très grande appréciation de la raison et de l’ordre hiérarchique. (115) Voir tableau des dualités enfant/adulte p. 115 =
le facile, pas le difficile = évocation des idées utilitaristes de Bentham, pour qui le bonheur dépend de la maximisation des plaisirs élémentaires et la minimisation des douleurs élémentaires. Donc le ressenti est le gouvernail de l’action. Pour la 1ere fois peut-être, des institutions adultes récompensent la facilité au détriment de la difficulté : perte de poids sans exercice, mariage sans engagement, piano sans discipline, résultats sportifs avec anabolisants… l’exact contraire de l’éthique protestante.. Les produits sont aussi débarrassés de leur propriétés nocives : café sans caféine, crème sans matière grasse, bière sans alcool… Privilégie le jeu/ au travail, et donc faire en sorte qu’on s’amuse au travail.
le simple pas le complexe : le second caractérise un sens moral développé. Le simple : fast food, film abrutissants, spectateurs sportifs, jeux vidéos dégradants, etc. « Il est difficile de grandir, et au départ on a l’impression d’y perdre. Il est facile de rester ignorant et puéril : il suffit de se laisser aller au principe de plaisir. » (133)
le rapide pas le lent : sport, restauration, musique, ordinateur, et même livre, tout est axé sur la rapidité. Le plus symptomatique, ce sont les actualités, avec un renouvellement accéléré qui produit « un trouble déficitaire de l’attention » (141). Rapide = superficiel, anecdotique, insignifiant. C’est toute une culture qui nous dissuade de nous concentrer, qui nous écarte de la continuité. (142) : plaisir immédiat avec le big mac, le rapport sexuel expéditif (éjaculation précoce = avant le vrai plaisir). Mais quel intérêt de lire Proust en accéléré ?
Pour Freud passer du principe de plaisir au principe de réalité signifie qu’il faut passer de la satisfaction immédiate à celle différée, du plaisir à la restriction du plaisir, de la joie (jeu) à la peine (travail), de la réceptivité à la productivité, de l’absence de refoulement à la sécurité. (152)
« Dans l’économie capitaliste postmoderne, la vie facile demande beaucoup de travail. Une société dédiée tout entière à l’achat a besoin de consommateurs qui ont quantité de loisirs, mais leur en laisse en définitive fort peu de temps pour autre chose que consommer et travailler afin de payer cette conso ; ils se sentent donc rarement oisifs ou libres. » (y c en vacances) (157)
« la privatisation est davantage qu’une simple idéologie économique. Elle agit conjointement avec l’ethos d’infantilisation pour soutenir et renforcer le narcissisme, la préférence personnelle et la puérilité. » (174) = fausse idée de la liberté personnelle, déformation de la citoyenneté, sans recherche de l’intérêt public : « la privatisation n’a pas seulement réduit notre capacité de façonner nos vies communes et de déterminer la nature de la civilisation où nous voulons vivre ; elle nous a rendus moins libres. » (174)
« La privatisation fait du moi privé et impulsif qui est tapi en moi l’ennemi désinvolte du « nous » public et réfléchi qui est aussi une partie de moi-même » (175) = je veux au lieu de nous avons besoin.
Les services publics ne le sont pas seulement en raison de leur financement, ils le sont aussi par leur finalité ou leur nature : les ordures, l’environnement, l’instruction, la santé, etc. tout le monde est concerné, on ne peut pas s’adresser qu’à une partie de la population. (179)
C’est la réévaluation réfléchie de nos « libres » choix qui nous rend vraiment libres. Si ce que nous voulons est généralement privé, ce que nous voulons vouloir est souvent public = capacité à subordonner ce que nous voulons à ce que nous voulons vouloir (186)
Ce processus se traduit par une inflation du crédit notamment au USA où le taux d’épargne est proche de zéro, et l’endettement des jeunes maximal. Couplé à une absence de politique publique pour réguler le marché de certains bien nécessaire (comme le logement), ça donne une crise majeure. Du coup le goût puéril de la conso tente d’être exporté à travers le monde afin de trouver de nouveaux consommateurs.
L’argument de la privatisation : remplacer le monopole par un espace pluraliste et diversifié de concurrence privée. Mais dans les faits ça n’a pas amélioré. La logique qui préside alors est marchande, et n’est pas plus transparente, au contraire. Par ex la privatisation de l’eau a été vendu comme un moyen de lutte contre la corruption et un moyen de responsabilisation. Or l’eau coûte tjs plus cher, et la corruption s’est privatisée. (198)
Exemple de privatisation : chaire de marketing à la fac financée par une entreprise.
Écart entre ce qui sert les résultats financiers d’une entreprise de transport et les objectifs d’un système nationale de transport.
Préférer l’indicateur de progrès authentique au PIB qui mesure la qualité de l’économie plutôt que sa quantité (prise en compte de l’environnement, de la dette…) : l’empreinte écologique est par ex pour l’occident supérieure à sa capacité (23 ha par personne alors qu’elle n’est que de 17 ha).
Le capitalisme tardif ne pouvant lié son emprise à des besoins essaie de forger des identités liées à des styles de vie lesquelles sont associées à des marques et à des produits. Ce type d’emprise s’appuie sur l’infantilisme (identification à la star). Ce processus a été facilité par le mode de vie pavillonnaire qui en « déracinant l’individu des collectivités traditionnelles le rend vulnérable au futile attrait commercial de la marque. »( 229)
On assiste à l’émergence de changements de noms attribués aux infrastructures publiques (stades etc.) en échange de subventions privées (= sponsoring) : c’est donc des entreprises qui définissent ce qu’est un citoyen = un consommateur.
L’idée du marche libre avec en arrière plan ses monopoles, n’est qu’un écran de fumée à la répression et à la coercition (292), i.e. une forme de coercition libérale qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir (Foucault).
La totalisation du marché fait que les désirs de 1er ordre sont le domaine unique de choix, marquant le triomphe des pulsions sur l’empire de la volonté, et donc la victoire du privé (les désirs du 1er ordre) sur le public (2nd ordre, du je sur le nous. (302)
Le marché consumériste se caractérise par :
l’ubiquité
l’omniprésence
l’addictivité
la capacité d’autoduplication
l’omnilégitimité
Il existe des réponse à cette hyper consommation, c'est-à-dire des modes de résistance, lesquelles naissent du capitalisme lui-même :
la créolisation culturelle : contre la logique totalisante et homogénéisante du capitalisme, il existe une logique de contre-colonisation, qui consiste en l’hybridation ou l’infiltration culturelle. Mais c’est limité.
La carnavalisation culturelle : formes de résistance, d’inversion, de transgression, dans le discours et dans l’action. Abolition temporaire des formes de hiérarchie, de privilèges, de tabous et règles (cf Bakhtine). Mais le capitalisme lui-même joue de cela après ou en même temps qu’il contrôle et discipline : en proposant des formes ludiques, en célébrant la spontanéité, en cultivant la fausse révolte juvénile, l’ethos infantiliste enferme la transgression ; il sert les intérêt marchands tout en procurant une certaine libération psychique (367).
Le brouillage culturel : c’est dans le secteur du marketing que c’est le plus visible sous la forme d’une subversion instrumentalisée : associer des affect avec des produits qui n’ont aucun rapport.
Le combat est celui d’une restauration de la citoyenneté y compris dans le domaine de la conso (le consumérisme civique) : boycott, actions civiques. Mais l’action n’est pas du registre citoyen habituel (associé à un Etat-Nation) car le marché et les consommateurs sont cosmopolites…
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