Le Proust norvégien
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La Mort d'un père, 2. Un homme amoureux, 3. Jeune homme, 4. Aux confins du monde, 5. Comme il pleut sur la ville, 6, Fin de combat.
Voilà une entreprise exceptionnelle réalisée par un écrivain norvégien et s'inscrivant dans le registre de l'auto-fiction. Tout au long de ces 6 volumes Knausgåard nous restitue en effet tous les âges de sa vie : la petite enfance et la primauté du jeu ; l'adolescence et la construction d'amitiés solides, la recherche de l'amour, la pratique de la musique en groupe, les études, les excès ; l'âge adulte et les doutes au travail, la vie de famille, la question de l'enfantement. Mais le récit est loin d'être linéaire, car l'auteur maîtrise parfaitement la juxtaposition des temporalités, une des raisons d'ailleurs rendant l'histoire particulièrement vivante. Vivante aussi par la capacité de l'écrivain à traduire les émotions propres à chaque âge comme s'il les avait enregistrées : donner à lire des dialogues nécessairement reconstitués, des ambiances naturelles (le vent dans les arbres, les couleurs du ciel, les odeurs des plantes...), des sensations, tous ces détails permettent au lecteur de faire corps avec le cheminement du personnage principal, de s'identifier à lui, et plus encore, de se remémorer et réévaluer son histoire propre. Car c'est la gageure de cette autofiction qu'en partant d'une vie singulière elle puisse parler à toutes les vies. De cette capacité de parler à tous à partir de ce cheminement individuel, de montrer toute l'épaisseur d'une vie à partir du cumul et de la combinaison de la multiplicité de ces moments, de saisir en définitive la vulnérabilité et la fragilité des êtres.
Mais ce long cheminement ne touche pas qu'à la description de sa vie, il vient aussi en son tableau final (tome 6) réfléchir à la place de l'écrivain et de la littérature dans la société. Cette réflexion part de la plainte en justice de son oncle contre l'image que donne Karl Ove de son père dans le tome 1 (La mort d'un père) et qui estime que son frère (le père de Karl Ove) a été diffamé. L'écrivain a t-il le droit de tout dire des êtres qui l'entourent dans la cadre d'une autofiction ? Ou doit-il masquer/transformer les noms ? Cette réflexion conduit Knausgåard dans une longue digression sur l'acte d'écrire et sur la littérature où il convoque différents écrivains (Handke, Dostoïevski, Cioran, Thomas Mann, etc.) et même sur l'acte de création. Ce retour sur soi l'amène à examiner de près le livre auquel il a emprunté le titre ainsi que son auteur. Il s'attache ainsi à un très long commentaire de l’œuvre écrite (Mein Kampf) et de la vie d'Hitler. Il le fait avec sa sensibilité d'écrivain ce qui amène sans nul doute un regard renouvelé sur la vie du dictateur. Et cet imposant dernier volume (1400 pages...) ne s’arrête pas là puisque dans la dernière partie il dévoile encore plus son intimité. Quand on le referme, on a le sentiment d'avoir vécu une aventure de lecteur vertigineuse et fascinante, pareille à aucune autre...
La citation : « Le bonheur explosa en moi. Ça dura une seconde, deux secondes, peut-être trois avant que vienne l'ombre qui suivait toujours cette traîne noire du bonheur. » (tome 2, p. 669)
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