Analyse sociologique de l'émeute et de l'émeutier
Romain Huët, Le vertige de l'émeute. De la Zad aux Gilets jaunes, Puf, 2019, 180 p.
Hypothèse : « L'émeute est désirée en tant que lieu d'un présent intensifié. Elle est vécue comme un événement où la vie fait l'épreuve d'elle-même alors que ces temps peinent à être réalisés dans les autres domaines de la vie ordinaire. » (17)
Dans son accomplissement l'émeute s'improvise (22).
Elle est « l'administration d'une violence confuse, brève mais domestiquée. Elle consiste à créer une atmosphère dont le but est de troubler et de précariser le pouvoir. » (24)
L'individu est « saisi d'une fascination perceptive provoquée par le désordre, les bruits, les odeurs, qui confine à un sentiment d'irréalité ou d'effondrement du monde avec fracas. » (24)
Il y a mise en spectacle, avec le souci manifeste de la quête d'un regard, « le souci d'apparaître dans le champ commun de visibilité. » (24)
Satisfaction d'un temps commun. « Au cours de celui-ci, il pourrait s'éprouver la sensation que les vies ont voisiné ou raisonné entre elles si bien que chacun a été conduit de déplacer les limites de son individualité, d'avoir été autre que ce qu'il est habituellement. » (26)
« L'émeute est plutôt une initiation à la visée révolutionnaire. Elle l'occasion de s'appliquer à mettre en échec le pouvoir de façon symbolique, ponctuelle et localisée. » (28)
S’ouvrent donc des lignes de virtualité, « des champs de potentialité qui mettent l'individu en présence de ses rêveries. » (28)
Les émeutiers donnent au monde une image fragmentée. Cela permet « d'ouvrir de nouvelles voies d'existence permettant de sortir momentanément du poids du réel qui assiège chacun et le renvoie à sa propre puissance. » (29)
C'est par exemple cet émeutier qui demande « vas-y prends une vidéo, filme-moi (34). Le corps blessé est l'occasion d'une rencontre avec la réalité politique. « Son empreinte sur le corps est la politique faite réelle. » (34) L'activité devient vivante « et la chose politique, habituellement abstraite, gagne en réalité. L'émeute est avant toute chose une réponse au sentiment de perte de réalité. » (34)
« La réalité sensible de l'émeute renvoie aux différentiels d'intensité exercés par la présence en un même lieu et un même temps de corps co-affectés dans leur perception, leur rythme et leur détermination. » (36) = Corps assemblés en des lieux
« Il s'agit de produire un corps opaque et résonnant, c'est-à-dire capable d'incorporer collectivement la colère et la détermination tout en préservant la capacité d'initiative et la puissance d'action. » (37)
D'après Randall Collins, la vie sociale suppose des interactions rituelles au sein desquels circulent des flux d'énergie émotionnelle principaux moteurs de l'action. Ces agencements collectifs des affaires se déclinent avec l'enthousiasme, les désirs d'initiative, la peur, le sentiment de puissance, de compétition, la rage, la sidération, etc. (51)
Il y a les mots, la motion, l'émotion, émotion collective, l'émeute.
La méthodologie de l'auteur est donc une sociologie participante, une sociologie à partir du corps. L'accès à la vérité de la violence ne passe pas nécessairement par la raison mais par le sujet de son être, c'est-à-dire par tout ce qui me touche. (56) Et si l'essentiel passe par le corps et des spasmes, alors il est impossible de saisir autre chose que des fragments désarticulés. (58)
« L'émeute est d'abord une scène d'intensité. Elle est vibrations. Dans l'émeute frissonne quelque chose. » (61)
Elle est aussi rythme. Elle est réussie quand les forces de l'ordre ne cessent d'être dominées sur le plan du rythme (« Nous promenons nos poulet » = Slogan).
Elle est réglée. « Elle se déroule dans un temps et un espace limité. » (65)
Dans cette recherche de sensations, il s'agit de dominer émotionnellement la scène, de repousser les barrières de la peur. (71)
« La violence prend la forme d'un spectacle, c'est-à-dire que ses auteurs lui donnent un caractère idéalisé. » (72) = Parler de guerre !
L'émeute est probablement la fête contestataire et transgressive par excellence. « Elle ne se joue pas, elle se vit. Il s'agit de faire en sorte que le pouvoir quitte son raffinement habituel pour l'obliger à se déployer de manière grotesque : courir après les manifestants, les frapper parfois indistinctement, se cacher pour surprendre les émeutiers. » (74) Pour échapper à l'épuisement du charme, « l'intensification de la forme spectacle s'impose », Il devient même parfois une fin en soi. (76)
À la suite de Gilles Deleuze on peut dire que l'émeute est une machine désirante. Il n'y a pas de sujets. « Ils se considèrent plutôt comme des agencements collectifs d'énonciation. » Elle objective le pouvoir. Car elle crée momentanément un face à face avec le pouvoir qui ordinairement n'est pas vécu. Elle éprouve donc la vulnérabilité du pouvoir.
« L'émeute est l'expression concrète de vouloir se rendre ingouvernables. » (90)
A la suite de Georges Bataille, on peut considérer qu'un organisme vivant reçoit plus d'énergie qu'il est nécessaire pour le maintien de la vie. Il faut alors trouver un moyen de la dépenser. Dans les sociétés traditionnelles c'est la fête qui permet ces moments fusionnels de dépense (Roger Caillois).
Au fond peu importe que la vie de tous les jours de l'émeutier soit médiocre ou non. « L'émeute le rend grand. » (115) A « l'intérieur d'une multiplicité, les corps individuels expérimentent l'extension de leurs forces. » (142)
« L'émeute est alors la fiction sociale du désordre et du chaos afin de rompre le rythme des opérations quotidiennes. » (147) Elle est une passion pour le réel. « Le possible et la détresse se confondent dans un même geste dans un même instant. » (156)
Commentaires
Enregistrer un commentaire