Sociologie du corps

 


David Le Breton, La sociologie du corps, Paris : Paris : PUF, 2002 (1ère éd 1992), 128 p.


L'existence est d'abord corporelle, les sensations. Mais les sensations ne sont pas identiques : socialisation. Les gestes, les mimiques sont le langage du corps, compréhensible par autrui pour une même société.

Le premier lieu de cet apprentissage et de cette intériorisation, c'est la famille.

= Ensemble de règles et normes de conduite, de gestion du corps :

  • Les soins : laver, brosser, couper,…

  • La conduite : le maintien, la pudeur ;

  • Le langage : mimiques, cris ;

La famille, un petit ensemble cohérent délivrant perceptions, usages, représentations du corps. Elle appartient de plus grands ensembles :

  • La classe sociale : proximité du visage et de représentation.

  • La Nation : confrontations à d'autres modèles via l'école, et le sport.

  • Le monde via la télé.

La famille, chez l'humain, est indispensable au devenir homme (= Hominisation). L'homme nait prématuré i.e incapable de se prendre en charge (ce qui est différent de certains animaux) = il est donc absolument dépendant des autres ; et le plus courant c'est la famille, ou ses substituts.

Que se passe-t-il si l'enfant n'est pas socialisé ? C'est l'enfant sauvage de Lucien Malson.

Mais la famille restreinte comme on la connaît n'est qu'un modèle parmi d'autres. Historiquement on a connu :

  • La famille souche : famille nucléaire plus les ascendants ;

  • La famille élargie : famille nucléaire plus les collatéraux.

Géographiquement, dans certaines tribus prise en charge de l'éducation par la communauté des femmes (puis rites de passage et communauté des hommes).

= Des manières d'envisager le corps qui ne sont pas identiques : les soins, les règles, les usages (variations selon l'âge, le sexe).

À travers la famille, les groupes d'âge, les lieux de socialisation, la société imprime, modèle, détermine donc des manières de faire avec son propre corps :

  • Se mouvoir : technique de corps ;

  • Des valeurs ;

  • Des discours ;

  • Des usages.

Exemple de la parure.

Mais l'individu est au carrefour de ses déterminations, il en joue selon des modalités infinies mais toujours selon le mode de l'identification (à un groupe) et de la différence (dans le groupe par rapport à d'autres).


Historicité de la question du corps

a) Ce n'est que récemment que le corps est devenu un enjeu en tant que tel. Quelles sont les indices de cette émergence ?

  • Le développement des instituts de beauté ;

  • Le développement du sport et dans le sport la partie non compétitive : les salles de sport = sculpter son propre corps. Avec cet entretien du corps on constate des générations d'âge en meilleur état physique (ajouté aux médicaments, à l'alimentation, la surveillance médicale, au travail moins fatiguant).

  • Les techniques de transformation du corps ;

  • La chirurgie esthétique.

La publicité est à la fois un indice de ces transformations et un accélérateur, un amplificateur.

Un nouvel imaginaire du corps envahit les sociétés occidentales. Il faut prendre l'image au pied de la lettre : magazine, photo, affiches, mannequins qui remplaceraient, a-t-on dit, les stars de cinéma comme identification. Cet imaginaire véhicule de nouvelles valeurs, celles de libération du corps. Dans les années 1960 libération sexuelle (ce qui est encore à prouver), discours anti autoritaires, le droit à disposer de son propre corps comme on l'entend (le féminisme).

Dans ce processus, des dates sont importantes :

  • La pilule ;

  • Le droit à l'avortement ;

  • Le droit au divorce.

Du coup ce discours de libération s'accompagne de nouvelles pratiques. On montre le corps avec la minijupe, les seins nus, le nudisme = épanouissement individuel.


b) Mais cette libération s'accompagne d'un repli individualiste (moins d'inclination collective qu'elle soit politique, idéologique, ou des mouvements sociaux).

Donc dans ce processus d'individuation, ou d'autonomie individuelle, le corps s'avère être la marque de l'exclusivité, la spécificité, l'individualité par excellence. Chaque corps est différent.

Voir que ces préoccupations nouvelles pour le corps sont le fait de sociétés ou du groupes nantis. Avant cela, et toujours dans certaines sociétés, les préoccupations sont :

  • Hygiène avec des logement insalubres et la vulnérabilité aux maladies, épidémies (proximité dans le logement) ;

  • Vendre son corps (prostitution) ;

  • Oublier son corps (alcoolisme, drogue) ;

  • Corps et travail.

Avec un discours moralisant des classes dirigeantes sur l'état physique qui détermine un état moral (cf Villermé).


Il y a d'ailleurs à partir du 19e siècle essentiellement 2-3 discours sur le corps :

  1. Le corps comme effet des conditions sociales (industrialisation, urbanisation, division du travail, éclatement des communautés de travail et de vie)

      • Discours dirigeant : moraliser les couches populaires ;

      • Discours social, socialiste révolutionnaire : émanciper les travailleurs.

  1. Le corps est la cause des différences : discours raciaux, eugéniques, physiognomonie : l'apparence du visage comme révélateur de la personnalité. Avec un enrobage scientifique : mesure des cerveaux, des angles, des volumes. On retrouve ce type de discours pendant la deuxième guerre mondiale. L'homme est prisonnier de sa morphologie : cela justifie toutes les dominations sociales, le racisme et la colonisation, l'antisémitisme, l'infériorité sociale.

  2. Autre discours nouveau, à la fin du 19e siècle, la psychanalyse et Sigmund Freud : le corps est un langage, et il est pour une part l'expression de l'inconscient, des désirs refoulés, des inhibitions. Avec Freud et les premiers sociologues, le corps apparaît comme le produit social c'est-à-dire produit par l'interaction avec autrui. Tout est alors sujet à analyse. Exemple de la main : Sur 100 personnes, deux sont gauchers : est-ce naturel ? Sans doute pas car l'éducation de la main gauche est possible (musique, travail…). Thèse d'une asymétrie fondamentale.


Chapitre 4

  1. Les techniques de corps

= Gestuels codifiés en vue d'une inefficacité pratique symbolique.

Détailler les modalités d'action, les séquences de gestes réalisées en vue d'une action précise. Et là, constat de la variation d'une société à une autre d'une génération à une autre : exemple la nage, de la marche, de la course, même bêcher. « Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l'homme. »

Classification ou variations selon le sexe et l'âge.

Technique du repos, de l'activité, des soins du corps, de la consommation, de la reproduction sexuelle. Prendre en considération le rendement (adresse, habilité) ; les formes de transmission (quand, comment les plus jeunes apprennent-ils ?) : premier mode, le mimétisme.

Recenser à travers les peuples et les sociétés les différents répertoires de gestes. Contrecarrer les préjugés racistes. L'homme n'est pas un produit de son corps, mais utilise au contraire comme un instrument. Cette observation permettrait de mettre à jour des métissage culturels profonds.

Méthodologie : comment rendre compte de cela ? Par une observation rigoureuse. Comment atteindre cette rigueur, cette précision ? Par l'image : le film, la photographie, le tableau (Millet).

Il existe aussi des techniques de corps non-ordinaires : Les contorsionnistes, les jongleurs, les équilibristes, les funambules, les fakirs, les avaleurs de sabre, les cracheurs de feu.

Les techniques physiques et sportives.

Les techniques du savoir-faire : artisans, paysans, artistes, chirurgiens. C'est le tour de main, l'adresse spécifique, acquise par la pratique, dans la répétition. Ne pas oublier l'efficacité recherchée, inconsciente, par habitude.


  1. La gestuelle

= Mise en jeu ou en scène du corps lors de rencontres entre individus :

  • Rituels de salutations ;

  • Manières d'approuver ou de nier ;

  • Distances, regards dans la relation à autrui.

D'où viennent ces gestuelles ? Ce sont des codes culturels, on les apprend, on peut les désapprendre. Étude de David Efron sur deux populations migrantes des États-Unis :

  • Juifs d'Europe de l'est ;

  • Italiens du Sud.

Bien que tous Américains, leur gestuelle est différente sur trois plans :

  • Spatio-temporalité, amplitude des gestes, rites, forme, membre concerné.

  • Interactivité, par rapport à l'autre.

  • Linguistique, geste accompagnant le discours ou pas.

Mais dès la seconde génération, pas de différence, ressemblance avec tous les américains. L'attention de l'auteur et de démystifier l'idée de race des nazis.


Les perceptions sensorielles

La plus enracinée dans l'intimité, la plus impalpable. Très personnelle et marquée par les expériences de l'individu elle n'en demeure pas moins sociale. À chaque aire culturelle, son mode de perception.

Exemple de Howard Becker : pour les fumeurs de cannabis, il y a un apprentissage, une initiation aux effets. Apprentissage donc d'une technique qui est un apprentissage sensoriel.


Les techniques d'entretien

Chez la tribu des Naciréma il existe un sanctuaire pour entretenir le corps (p. 70).

La relation à l'hygiène, au propre et au sale, et variables d'une société à l'autre. Mais même d'une classe sociale à une autre, il n'y a pas le même modèle d'hygiène. Cela est plus frappant par rapport à d'autres sociétés ou la symbolique est plus évidente, plus nécessaire (les esprits).

Au 19e siècle on ne lave pas la tête des enfants pour les protéger. Comme c'est l'endroit le plus fragile la crasse est protectrice.

Approche sociobiologique : idée de nature humaine : comportement inné et universel. Approche qui vient de l'étude des animaux, l'éthologie.

Mais ce type d'explication ne tient pas la route comme le montre les exemples des enfants adoptés, des immigrés, des enfants sauvages, etc. L'environnement est prédéterminant.

La différence des sexes semblent fondée biologiquement. Mais les Nuers voient la femme stérile comme un homme. Du coup elle peut avoir plusieurs épouses, lesquelles sont fécondables par un homme (ami, parents, tribus subordonnées). Mais la femme– homme sera le père, et jouira de ce statut.

Autre exemple celui des Arapesch et des Mondugumor : hommes et femmes ont des rôles distincts mais pas de différence de tempérament (la bravoure et l'agressivité sont indifférenciés).

Dans d'autres sociétés plus rares, la femme présente le caractère habituellement attribué à l'homme, par exemple avoir la tête froide, tandis que celui-ci est émotif.

= On ne naît pas homme ou femme, on le devient dans un long processus de socialisation. Mais non sans stéréotypes : la douceur d'un côté, la virilité de l'autre. Cela est évident dans la publicité où les rôles sont très différenciés.


Les valeurs et le corps

Comme métaphore du social (M. Douglas, de la souillure)

Selon les sociétés, les parties du corps sont différemment connotées : cœur, poumon, positif ; pied, ventre, négatif.

Le visage siège de l'identité. Une cicatrice comme atteinte au moi. On photographie d'abord le visage.


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