Vie et oeuvre du psychanalyste Jacques Lacan

 


Elisabeth Roudinesco, Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, (Le livre de Poche, 2010 (Fayard, 1993) p. 1507-2014 + Héritages p. 2015-2073


Les commentaires des professeurs de Lacan indique un personnage fantaisiste, un peu vaniteux, parfois gênant et surtout incapable d’organiser son temps et de se comporter comme les autres. » (1526)

Lacan vécut son analyse comme un affrontement avec son analyste. Pour lui signifier qu’il n’était pas à la hauteur, il lui raconta une anecdote : dans un tunnel il vit un camion qui fonçait sur lui ; il ne se rangea pas et c’est le camion qui céda. (1594)

Le séminaire de Kojève remet en question la topique freudienne et va à l’encontre d’une psychologie du moi. Deux options étaient possibles :

  • faire du moi le produit d’une différenciation progressive du ça, agissant comme représentant de la réalité et ayant à charge de maintenir les pulsions. C’est un processus d’adaptation de l’individu à la réalité extérieure.

  • Tourner le dos à toute autonomisation du moi pour étudier la genèse en termes d’identification. On ramène le moi vers le ça pour montrer qu’il se structure par étapes en fonctions d’imagos empruntés à l’autre. Ce choix fut celui de M. Klein et Lacan s’appropriant la notion wallonienne de stade du miroir. Celui-ci n’est plus appréhendé comme une expérience concrète, mais une opération psychique voire ontologique par laquelle se constitue l’être humain dans une identification à son semblable quand il perçoit enfant sa propre image dans le miroir. Le stade du miroir au sens lacanien serait ainsi la matrice par anticipation du devenir imaginaire du moi. Cette représentation narcissique « explique l’unité du corps humain ; pourquoi cette unité doit-elle s’affirmer ? Précisément parce que l’homme ressent le plus péniblement la menace de ce morcellement. C’est dans les 6 premiers mois de prématuration biologique que vient se fixer l’angoisse. » (Lacan cité p. 1641)

Le sevrage laisse la trace dans le psychisme de la relation biologique qu’il interrompt tout en donnant son expression à une imago plus ancienne : celle qui à la naissance avait séparé l’enfant de la matrice, l’obligeant à une prématuration spécifique duquel provient un malaise que nul soin maternel ne peut réparer. Cette imago comme « un appel à la nostalgie du tout. » (1685) Qui expliquait aussi chez la femme le permanence du sentiment de maternité. Quand cette imago n’est pas sublimée pour permettre le lien social, elle devient mortifère. Cet appétit de la mort s’aperçoit par exemple dans l’anorexie mentale, la toxicomanie (par la bouche) ou la névrose gastrique. (idem)

Lacan remarque que la théorie freudienne s’applique bien à l’analyse du fascisme. Mais en plus il prend en compte le déclin de l’imago paternelle pour comprendre le devenir de la famille moderne, ainsi que la surpuissance accordée au chef dans le nazisme.

Dans sa pratique il invente les séances courtes : effet de frustration en interrompant la séance sur certains mots signifiants afin de relancer l’éclosion du désir inconscient. (1755)

En reprenant Lévi-Strauss, la notion de famille éclate au profit de la parenté, et cela repose la question de l’universalisme de l’oedipe, en « le fondant non plus sur une peur « naturelle » de l’inceste, mais sur l’existence d’une fonction symbolique comprise comme loi de l’organisation inconsciente des sociétés humaines. » (1765) C’est comme cela que Lacan refondait Freud en le sortant de sa vision biologisante.

Ainsi s’élaborait sa propre topique du symbolique, de l’imaginaire et du réel. Les deux premières venaient de Wallon, et en les associant au réel en 1953, elles prenaient une valeur différente : « l’inconscient freudien était repensé comme le lieu d’une médiation comparable à celle du signifiant dans le registre de la langue. Sous la catégorie de l’imaginaire étaient situés tous les phénomènes liés à la construction du moi : captation, anticipation, illusion. Enfin sous la catégorie du réel était introduit ce que Freud avait appelé réalité psychique, c'est-à-dire le désir inconscient et ses fantasmes connexes. » (1771) Cette dernière prenant une valeur aussi consistante que la réalité extérieure. Le réel lacanien reprenait cette idée en lui ajoutant une idée de morbidité, de « reste », ou de part maudite (Bataille). « Là où Freud construisait une réalité subjective fondée sur le fantasme, Lacan pensait une réalité désirante exclue de toute symbolisation et inaccessible à toute pensée subjective : ombre noire ou fantôme échappant à la raison. » (1771)

Dans ses séminaires il faisait alterner la thématique du signifiant (n° impairs) et celle du sujet (n° pairs)

Au final, la crise de la psychanalyse montre qu’au lieu de favoriser une approche rationnelle de la psyché, on a revalorisé l’illusion narcissique au point de préférer l’affect à la conscience, le corps à l’esprit, la jouissance au désir, les émotions à l’inconscient, en bref l’instinct à la pensée (2019).

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