Sociologie des classes moyennes
Dominique Goux & Éric Maurin, Les nouvelles classes moyennes, Le Seuil, 2012, 122 p.
Ces classes se caractérisent « par leur dynamisme, leur centralité sociale, leur position d'arbitre. Elles sont tenaillées par une anxiété d'où provient paradoxalement leur succès : coincé entre la peur de la chute et le désir d'élévation, elles ont su maintenir leur position tout au long de ces dernières décennies, au terme d'une compétition sans merci pour les statuts professionnels les plus protégés, les quartiers de résidence les plus sûrs et les diplômes les plus recherchés. » (8) C'est donc bien une classe carrefour dans l'espace socio-professionnel français « un point de passage vers le déclassement au contraire la promotion sociale ». (9)
Les membres de ces classes détiennent des compétences difficilement transférables dans un contexte à un autre, d'une époque à une autre, des compétences moins générales et donc plus précaires que celles des cadres. Il en découle une dépendance plus étroite à l'employeur du moment et par conséquent un rapport plus inquiet à l'éventualité de devoir en changer. C'est ce rapport là qui « fonde du bout du compte le rapport à l'avenir et donc leurs anxiétés ». (18)
Historiquement ces classes moyennes sont celles des actifs non salariés (indépendants, petits patrons, artisans ou commerçants). Elles représentent 15 % de la population active tout au long de la IIIe République. Leur érosion s'est faite de manière continue tout au long du 20e siècle. Elles représentent 6 % des actifs en 2009. Mais le revenu moyen des ménages dans le chef est artisan ou commerçant reste aujourd'hui deux fois plus élevé que celui des ménages ouvriers ou employés. Avec une précarité importante : entre 1998 et 2003, plus de 12 % des patrons de l'artisanat et du commerce ont fait faillite et rejoint le rang des ouvriers et des employés.
Dans le secteur privé, les classes dites moyennes ont une inquiétude par rapport à l'avenir, celle-ci étant indexée sur l'amplitude des chutes possibles plus que sur la probabilité qu'elles arrivent. Le déclassement est une menace qui concerne tout le monde mais son expérience effectivement subi est plus rare. (47) En effet les personnes déclassées par rapport à leurs parents ne représente qu'une petite minorité au sein des classes moyennes elles sont beaucoup moins nombreuses que les personnes en situation d'ascension sociale. (49)
Une tradition d'enquête sociologique sur la perception des différentes procession montre un large consensus social sur les situations professionnelles accessibles. Les métiers des classes moyennes traditionnelles et du salariat intermédiaire sont placés juste au milieu de la hiérarchie des considérations sociales à distance égale entre les métiers les plus considérés (professions libérales, cadres d'entreprises) et les métiers les moins considérés (ouvriers non qualifiés ou employés de commerce).
La compétition scolaire revêt une importance considérable elles. Comme elles n'ont aucun patrimoine financier ou social à transmettre à leurs enfants, « l'école représente le seul vecteur grâce auquel elles peuvent envisager la promotion sociale de leurs enfants. » (56)
Une mobilisation familiale qui touche inégalement les enfants d'une même fratrie : c'est en effet dans cette famille que l'écart de réussite scolaire est le plus important entre les enfants. (56)
Des familles qui sont touchées aussi par la généralisation de l'accès au bac puisque 15 % des enfants d'ouvriers ayant au moins le bac pour les générations du début des années 60 à 50 % pour les générations du début des années 70. Du coup l'enjeu devient d'investir les filières générales du lycée les plus sélectives et d'obtenir un diplôme du supérieur. C'est chose faite pour une majorité de la génération de 1975.
Si on raisonne en terme de classement à l'école, on constate que dans une classe de 25 élèves, les enfants de cadres se situent en moyenne à la 5e place, les enfants de professions intermédiaires à la 9e et les enfants d'ouvriers à la 15e. (65) Cette étude révèle simultanément la très grande stabilité des rangs atteints par les différents milieux sociaux.
L'étude statistique montre le recul du déclassement intergénérationnel qui a accompagné l'ouverture de l'enseignement supérieur aux classes moyennes et populaires en France. Le risque de déclassement le plus élevé se trouve forcément au sein des classes supérieures (sous-entendu elles ne peuvent que chuter). Au sein des générations d'immédiat après-guerre seuls une petite minorité d'enfants des classes moyennes parvient à s'élever au-dessus du milieu des parents. Les places au sein de l'élite sont limitées. La probabilité d'accéder aux catégories supérieures s'est mise à augmenter pour les générations nées dans les années 2000. Auparavant ces tendances sont limitées hormis sous l'effet des 30 glorieuses. La proportion des individus nés en 1964 dans un milieu populaire à s'élever socialement est de 28 %, et de 20 % pour les enfants dont le père occupe une profession intermédiaire.
Pour l'ensemble des générations nées entre 1932 et 1970 (parvenues à l'âge adulte entre 1950 et 1990), il ressort que le déclassement intergénérationnel a baissé pour les générations bénéficiaires de la période de reconstruction, avant de remonter quand la croissance a retrouvé un rythme plus lent. Il a recommencé à diminuer avec la démocratisation scolaire des années 80. (82)
Il faut noter que les diplômes ont un rôle décisif en début de carrière mais par la suite les réseaux familiaux conservent leur importance et imprime leurs marques sur le destin de chacun. Il existe donc un penchant général à la reproduction sociale au terme duquel chacun temps à rester dans le milieu de son enfance plutôt que de faire carrière n'importe où ailleurs dans l'espace social. Ainsi un enfant de cadre échouant dans le supérieur après son bac garde par la suite à peu près autant de chances de devenir cadre qu'un enfant de professions intermédiaires ayant décroché un diplôme du supérieur.
Du point de vue de l'occupation du territoire, les distances sont marquées entre les ménages les plus riches et les classes moyennes, mais elles existent aussi en leur sein entre classe moyenne inférieure et plus pauvres : chacun met son pauvre à distance. On observe une sorte de statut quo résidentiel de ce point de vue sur les dernières décennies. « Les déménagements apparaissent comme le moment où les ménages parviennent à progresser dans la hiérarchie territoriale ou, au minimum (pour les plus riches), à ne pas déchoir. » (103) La résidence est donc un gros enjeu. Et sans bouger on peut ressentir une sorte de déclassement de l'intérieur du fait de l'arrivée de classes plus pauvres. Le logement représente pour les familles les plus pauvres une part beaucoup plus importante du budget que pour les plus riches de 30 à 15 %.
Aujourd'hui on observe des crispation dans la société, dans « un monde dominé par une logique de concours et par une logique du mérite individuel, tout ce qui paraît fausser la concurrence entre les individus, à l'école ou sur le marché du logement, devient vite insupportable. » (115) Aussi, au sein des classes moyennes s'exerce une critique à l'égard de l'État et de ses aides. On constate cependant que l'État providence s'est appauvrit puisque l'aide sociale bénéficie de plus en plus étroitement à certaines catégories de bénéficiaires : il apporte des prestations sociales et familiales sous conditions de ressources dans l'ensemble des prestations est passé d'environ 33 à 63 % entre le milieu des années 70 et le début des années 2000.
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