Sociologie des gens de maison
Alizée Delpierre, Servir, les riches. Les domestiques chez les grandes fortunes, la Découverte, 2022, 200. p.
Clivages sociaux, entre domestiques et patrons, mais aussi entre domestiques eux-mêmes, « si bien que leur expérience est marquée par une solitude, et une sorte d'éclatement qui contrastent avec la manière dont les riches face à elle, forment un collectif soudé et sûr de lui-même lui-même » (19)
La mise au travail des domestiques : l'exploitation dorée (21) : Salaire parfois important, prime, cadeaux matériels (chaussures de marque, montres de luxe, consultations médicales chez les grands spécialistes, frais de scolarité, dans une école privée pour les enfants…).
Les domestiques sont convaincus que le bon goût de leurs patrons est supérieur à tous les autres goûts. Leurs motivations sont d'abord « l'argent à se faire » comme le dit l'une d'elle. Sur l'ensemble du corpus, un quart ont un diplôme de niveau bac+3, ou bac+5, alors que une personne sur 10 seulement possède un diplôme supérieur au baccalauréat dans le secteur des services à la personne en France.
Mais à côté de l'argent, il y a le sentiment que les patrons les « grandissent » : en vivant auprès d'eux, ils accèdent à de nouvelles façons de manger, découvrent de nouveaux plats et règles nutritionnelles, de nouveaux vêtements et matières, de nouveaux goûts, de nouvelles catégories de penser, en fréquentant des expositions, en les côtoyant dans leur manière d'être. Ils finissent par faire corps avec eux, en utilisant d'ailleurs le nous ou le on, car ils associent leurs pensées et leurs actions à celles de leur patrons. Mais pour ces derniers dire que « les domestiques sont les membres de la famille, montrer qu'on leur sauve la vie et qu'on est responsable de leur bonheur, [les] autorise à se faire servir et exercer leur domination. Cela participe à l'illusio de la domesticité : l'asymétrie entre patrons et domestiques est compensée, et, souvent masquée, par le fait que les patrons parlent et agissent comme des bienfaiteurs. C'est une forme de violence symbolique. (…) Les multimillionnaires parviennent ainsi, de façon subtile et invisible, à rendre leur domestiques redevables. » (50)
Du côté des riches, le besoin des domestiques ne se discutent pas, à la fois, parce qu'ils ont le plus souvent été habitués à cela, et parce qu'il y a un rang à tenir, une « certaine réputation » (56), être légitime auprès des autres millionnaires. Le gardien rosier est sans doute l'exemple parfait d'une domesticité en pas en apparence superflue.
La gestion au quotidien est confiée aux femmes : « s'occuper de leur recherche, de leur sélection, de la supervision et des heures à leur donner, mais aussi les réprimander, résoudre les conflits, s'inquiéter de leur bien-être. Elles ont charge de travail relationnel et émotionnel avec leurs domestiques » (67), ce travail essentiel, bien qu'invisible, qui consiste à considérer les domestiques, comme les membres de la famille, à comprendre leurs ressentis, et aussi, à contrôler leurs propos émotions face à elles.
Le plus souvent, les contrats sont de longue durée en tout cas dans sa forme idéale. Les uns et les autres cherchent le bon parti, la perle rare : compétences bien sûr, mais aussi capacité à anticiper par la connaissance fine des habitudes des patrons, en sachant les servir immédiatement, aussi bon comportement (souriante, discrète, silencieuse, mais toujours présente), fidélité à ses patrons, inspirer une grande confiance et être prête à tout sacrifier pour eux, et enfin être agréable à regarder, sans trop non plus attirer les regards. (82)
« La domesticité fait partie de ces métiers où la passion et le registre vocationnel, ont une place très importante, dans la manière dont les domestiques se présentent aux grandes fortunes. » (85) La place du CV y est marginale, ce qui compte, c'est la recommandation, ajoutée à « des stéréotypes racistes sur les domestiques issus de l'immigration [qui] circulent sans le moindre tabou. » (91)
Le corps est soumis à de grandes tensions : « la pénibilité physique est une caractéristique récurrente du travail, des domestiques, qui sont, à longueur de journée, soumises à des efforts continus, parfois violents, à l'origine de beaucoup de maux » (106) (métier parmi les plus exposés aux accidents du travail aux troubles musculo-squelettiques)
Le domestique est tout le temps présent, mais invisible. « s'efforcer de ne pas voir les domestiques et une condition de la domination rapprochée exercée par les riches. » (111) Ce sont plutôt les novices, les nouveaux riches, qui confie ne pas savoir où se mettre. Chez les aristocrates, l'habitude est prise depuis longtemps à fonctionner, avec des domestiques qui font partie du décor, qui sont « meubles ».
Au sein des domestiques, il existe une hiérarchie : les majordomes et gouvernantes sont comme des contremaîtres, ils sont les mieux payés, les plus complices des riches, ils dirigent les autres, mais en contrepartie, sont tenus, responsable de tous les dysfonctionnements, et sont craints par leurs subalternes, qui les perçoivent souvent, comme des traitres. (119)
Une pratique courante consiste à appeler par le même prénom des domestiques qui se succèdent sur un poste, « une façon de réduire leur identité à leur statut de domestique et de marquer les frontières de classe. » (122) Il en va de même quand lors de fête, ils laissent des immondices à travers la maison, les domestiques chargés de nettoyer ayant alors le sentiment de ne pas être « humain », que leurs émotions et pudeurs ne sont pas considérées. Jusqu'à parfois devenir des proies sexuelles (l'affaire du Sofitel).
S'énonce ainsi un droit à exploiter. Par exemple dans une forme hallucinante, qui consiste à faire porter des couches par les employés, afin qu'ils n'aillent pas aux toilettes lors de leur service et ainsi gagner du temps. Cet asservissement se voit aussi dans les contrats de travail, pas toujours déclarés (le travail au noir est une chose courante), les heures réelles non comptabilisées, car ils ont une conception qui remonte au Moyen Âge (Marc, Bloch : la dépendance personnelle), et le contrat est perçu comme une entrave à la flexibilité et aux relations intrafamiliales dont feraient partie les domestiques.
Mais cette proximité est factice, car les employeurs rappellent sans cesse par des mises à distance, les statuts respectifs. Des erreurs commises par le personnel incitent les riches à refroidir les relations et remettre les domestiques à leur place. Et même à les licencier sur le prétexte de faute bénignes.
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