Un parcours atypique
Christophe Coléra (Frédéric Delorca), Incursion en classe lettrées. Un parcours aux marges des baronnies intellectuelles, éditions du cygne, 2009, 131 p.
L'auteur est né dans le Béarn en 1970. Il est le fils d'un ouvrier électricien espagnol et d'une mère béarnaise couturière à domicile. Du côté espagnol, un grand-père militant s'étant engagé aux côtés des républicains dans les années 30. Du côté de sa mère, une filiation de paysans.
Son histoire est celle d'un parcours de transclasse qui l'amène à devenir énarque.
Cette trajectoire doit beaucoup à l'investissement de sa mère, laquelle mettait un point d'honneur à ce que son enfant connaisse l'alphabet dès l'âge de trois ans, et sache même compter et écrire avant les autres enfants : faire en sorte que son fils ne soit pas « un ouvrier, un pauvre ». (17) Il n'aimait pourtant pas l'école, ni la vie en collectivité, ni les jeux avec les autres enfants, ni le regard des instituteurs. Il se décrit comme casanier, ne voulant pas quitter sa mère même pour un week-end. « Elle-même, toujours très inquiète pour moi, entretenait ma peur du monde extérieur et mon évasion dans les rêves. » (17)
Il n'aimait donc pas le système scolaire, mais se conformait aux attentes de sa mère en étant toujours le premier de la classe. Un enfant craintif, peu enclin à aimer les jeux de balle et la bagarre comme les autres garçons, mais en même temps, mal accepté dans l'univers des filles. Souvent malade (angines à répétition), il est finalement renvoyé à sa solitude, à son univers familial, à ses jouets, et à ses animaux domestiques. Dans cet univers, les livres occupent une grande place.
Avec l'entrée au lycée, il cherche des sociabilités de substitution par rapport à un univers familial de plus en plus pesant.
La philosophie en terminale sous la stimulation d'un professeur Heideggerien, lui ouvre la possibilité du concours général pour lequel il est primé. Obtenant une mention très bien au baccalauréat, il entre à Sciences-po directement, car cette année-là l'IEP donnait la possibilité d'une entrée directe en première année aux lycéens pourvus d'une mention très bien.
La découverte de Paris est une forme de choc, surtout à côtoyer les enfants de la bourgeoisie : il expérimente alors la violence, symbolique de l'étudiant boursier, vivant, dans un foyer asiatique, déjeunant dans les restaurants universitaires et côtoyant des étudiants au parcours social opposé, ayant baigné depuis leur plus tendre, enfance dans les milieux qu'ils visaient (Sciences-po, ENA). (36)
Tout devient alors difficile à vivre, le déjeuner solitaire, le dîner, solitaire, apprendre à se traîner, seul jusqu'au cabinet d'un médecin, ne pas avoir le téléphone chez soi, les toilettes, sur le palier, etc. et rentrer dans le sud-ouest tous les deux mois, et n'y « rencontrer qu'une incompréhension totale à l'égard de l'expérience parisienne. » (37) Refuge dans la musique, avec un écart entre France Culture et pop musique. Un isolement affectif aussi puisqu'il peine à rencontrer l'âme sœur (51). Au point de somatiser et de tomber réellement malade avec des fièvres à répétition aux causes mystérieuses. (53)
Parallèlement, à Sciences-po, il s'inscrit en fac de philosophie, dédaignant alors les sciences humaines : « Les sciences humaines, traitaient de l'étant, tandis que la philosophie, traitait de l’Être. De toute façon, notre commerce intime avec l’Être justifiait notre supériorité sur tout, notre dédain à l'égard de tout… Même et surtout à l'égard de nos souffrances intimes. » (58)
Néanmoins, par le biais de rencontres, il se lance dans la sociologie et se rapproche de François de Singly. Lequel est croqué dans un portrait plutôt juste (page 84). Puis il rencontre Pierre Bourdieu, dont les attaches béarnaises facilitent le rapprochement. Énarque, titulaire d'un doctorat en sociologie, d'une maîtrise en philosophie, l'auteur fait part d'une certaine amertume. Il a conscience d'avoir réussi sur la base d'une soif de reconnaissance qui animait sa mère, couplée au souvenir d'une épopée du grand-père paternel, mais il est resté en-deçà de ses espoirs intellectuels.
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