Sociologiser la honte

 


Vincent de Gaulejac, Les Sources de la honte, Paris, Points, 2008 (Desclée de Brouwer, 1996) 310 p.


L'auteur a nourri une image de supériorité grâce à sa particule qui le plaçait du bon côté dans le jeu social (sentiment de supériorité) même si du point de vue des conditions matérielles ce n'était pas le cas. Ainsi il pouvait nourrir un certain fantasme sur lui-même. Et échapper à la honte d'être mal né, ou mal élevé. Voir à ce propos le fantasme décrit par Freud (cf le roman familial) d'être un enfant adopté, ce qui permet d'échapper au conflit oedipien.

Il dit aussi la honte de ne pas répondre à la demande de sa mère (une petite crotte sur le pot), et sa quête de reconnaissance et d'estime (et donc la satisfaire ) en produisant maints ouvrages.

« Lorsqu'on est habité par la honte on se sent inutile, incompris, dévalorisé et seul. » (19)

La honte est ce non-dit.

La réparation de la chute originelle (35 sq).

La réussite peut être vue comme « meurtre symbolique » du père par exemple (34).

Pour sortir de sa condition il faut pouvoir imaginer autre chose (57 sq).

« La honte c'est le désamour de soi. C'est penser qu'on est mauvais à l'intérieur. » (59)

Les sources de la honte gisent dans l'humiliation (le sentiment d'infériorité) l'illégitimité. (61)

L'enfant a honte pour lui et pour ses parents : une défaillance parentale, le plus souvent paternelle => En résulte une absence de confiance en soi 

 

Il y a donc un sentiment de vulnérabilité, de dévalorisation de soi, un manque d'estime de soi = Une rage interne peut en découler ou un déchirement : coupé à l'intérieur de soi : la honte isole.

Être rejeté et stigmatisé par la communauté du fait de sa différence : une solution c'est la dissimulation, se cacher autant que possible. Afin d'éviter la déchéance de soi (l'image de soi), ou publique.

« La honte s'installe parce qu'elle est indicible. » (67) Une fois installée elle déclenche l'inhibition (pour pas revivre telle situation).

La honte est intériorisée, enkystée.

La pauvreté comme honte : c'est le fruit d'un déclassement, d'une déchéance comme par exemple la honte du père ivre.

Le sentiment persiste même quand les conditions ont changé : la honte peut se manifester par la tendance à s'excuser, se rabaisser ou à demander, guetter, quémander les marques de reconnaissance.

La peur de la misère : peur de la souillure, du stigmate, du rejet qui est associé.

La honte liée à un souvenir exprimé est différente de celle qui est tue car indicible. La seconde est plus forte, elle est déniée. Un combat se joue pour une requalification.

==> Ne pas être dépendant (cf statut d'indépendant), ne pas avoir de dettes : l'amour-propre.

Chez Sartre la honte et la reconnaissance de la primauté du regard des autres sur le sien (160 sq) : elle nous fait vivre parmi les autres, elle nous socialise. Elle est à la fois excluante (stigmatisante) et incluante (communauté des vivants).

Chez Camus la honte vient de la comparaison de sa condition de pauvre à celle des riches (au lycée).


La genèse du sentiment

« En sortant de la fusion avec la mère, l'enfant se construit son propre idéal du moi, idéal d'indépendance, d'autonomie, de singularité, de distinction dans lequel s'enracine le narcissisme, c'est-à-dire le désir mégalomaniaque d'être unique, donc exceptionnel, mais aussi son revers, c'est-à-dire l'angoisse d'être sans valeur et sans intérêt. » (184) = Importance des premières expériences dans lesquelles l'enfant apprend la confiance, l'autonomie et la sécurité, des éléments apportés par autrui et particulièrement dans sa relation avec sa mère. (189) L'enfant dans ses expériences de fusion/séparation oscille l'entre la confiance, l'admiration de ses parents et le sentiment de rejet, d'indifférence, et de honte. Sujet ou objet.

Au stade œdipien lorsque l'identification paternelle est mise en défaut, soit parce qu'il est absent soit parce qu'il est invalidé dans le discours de la mère ou par une autorité de substitution l'enfant est vulnérabilisé.

La période de latence correspond à la chute de l'enfant roi à laquelle répond en écho la chute des parents idéalisés. « L'enfant découvre que ses parents sont faibles, impuissants, résignés, parfois lâches et violents, ce qui provoque des sentiments contradictoires. » (194) Il faut alors pour l'enfant se situer soit du côté des siens mais alors se résigner à être comme eux, soit à les renier pour passer du côté des gens bien. « Choix impossible qui le déchire entre l'amour et la haine, la fierté et le mépris, l'admiration et le rejet. » (195) « On découvre alors une troisième chaîne causale qui relie le jugement d'autrui, la différenciation sociale, le sentiment d'infériorité, l'effondrement de l'image idéalisée des parents, la haine, le mépris, la honte d'avoir honte, l'ambivalence et la distinction. » (195)

À l'adolescence, celui-ci a besoin d'être remarqué, d'être contenté, d'être valorisé d'autant plus qu'il doute de sa propre valeur. « Il a besoin de s'opposer tout en restant en alliance, de construire une image de force, de cohérence, d'indépendance alors qu'il est tiraillé entre les exigences contradictoires qui le fragilisent et qu'il manque de confiance en lui. » (196) « Si l'adolescent rejette l'idéal parental, il en cherche un plus élevé, sans être sûr d'être à la hauteur de ses exigences nouvelles. »

L'entrée dans l'âge adulte consacre cette trajectoire.

« Dans cet ensemble de processus complexes, un axe est dominant. Il concerne la construction identitaire dans ses rapports à l'idéalité, à l'image de soi, à la position sociale de la famille et à la trajectoire sociale. » (201) « La honte peut jouer comme un aiguillon qui oblige le sujet à se conformer aux exigences de l'Idéal du moi et aux modèles sociaux ; elle peut aussi l'inhiber en détruisant de l'intérieur ses capacités d'agir sur le monde qui l'entoure. » (202)

Les éléments psychiques et les éléments sociaux entrent en résonance.

Le parcours de l'autodidacte « incarne le destin lié du manque socioculturel et du manque subjectif ». (Paul Laurent Assoun cité page 217)

« Le psychanalyste oublie qu'il est aussi un sujet social, inséré dans une autre réalité que le réel analytique, soumis à un autre destin que celui des pulsions, à d'autres déterminismes que les mécanismes et les processus psychiques. » (Robert castel, cité page 219) . « Ce mode de pensée tend à sous-estimer l'importance de la genèse sociale des conflits psychologiques, à se fermer à toute autre approche qui cherche la vérité du sujet ailleurs que dans le récit qu'il produit sur lui-même, à chercher la clé explicative des comportements humains dans les premières relations infantiles. » (219) Car il existe quand même des forces sociales qui agissent même si l'individu ne les « avale pas. »

Bien entendu cette tendance de la psychanalyse à négliger le contexte historique et sociale et à s'attacher aux fantasmes, à transformer toute causalité extérieure en une causalité intérieure, a une justification thérapeutique. Comment en effet le patient peut-il guérir si la solution est extérieure.

Pour s'en sortir, il existe des solutions, par exemple de type défensif. L'orgueil en est une comme honte inversée. « L'orgueil et la honte ont ceci de commun qu'ils impliquent la solitude, le repli sur soi, l'impossibilité de communiquer avec autrui sur le mode de la réciprocité. Qu'il se vive comme « moins que rien » ou comme « plus que tout », le sujet est irrémédiablement unique et seul, et dans la plupart des cas, seul contre tous. L'orgueil c'est le narcissisme exacerbé, l'obsession de soi-même, l'affirmation d'un soi qui, au départ, a été profondément mis en question : il faut terriblement craindre d'être mal aimé, non reconnu, rejeté, mésestimé, méprisé pour se jeter ainsi dans le combat quotidien et tragique de l'orgueilleux qui tente désespérément de sortir de sa dépendance au regard de l'autre et qui ne fait que se soumettre. L'orgueil vient d'une quête d'amour insatisfaite. » (249)

L'humour est un autre mode pour désamorcer l'intériorisation de la honte (Charlie Chaplin). Le rire permet une distanciation. De désamorcer la charge émotionnelle de la honte.

Il y a aussi la démarche collective du militantisme.

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