Enquête auprès de familles en ascension sociale

 


Adrien Naselli, Et tes parents, ils font quoi ? Enquête sur les transfuges de classe et leurs parents, JC Lattès, 2021, 284 p.


Même si l'auteur utilise des références en sociologie, il s'agit d'une enquête au sens journalistique du terme, sans la rigueur et le protocole scientifiques d'une enquête sociologique. L'intérêt réside dans les interviews croisées des enfants et des parents à propos la trajectoire scolaire et professionnelle des premiers

Les transfuges servent le plus souvent de caution à un système fonctionnant majoritairement à la reproduction sociale. À travers certains noms médiatiquement les plus connus, l'idéologie du mérite individuel ou de la méritocratie est ainsi diffusée.

D'abord une définition : transfuge, c'est une personne qui en temps de guerre, d'hostilité, abandonne son armée, son pays pour passer à l'ennemi. Synonyme : déserteur, traître. Par extension : personne qui fuit quelque chose. Par analogie : personne qui quitte un parti pour passer dans le partie adverse, qui, renie, trahit un groupe, une cause. Synonyme : dissident. Par extension : personne qui change de milieu, de situation. (29)

En voulant interroger les parents, l'auteur rencontre sur tous les mères : ce sont, d'ailleurs elles, le plus souvent, qui ont permis ces trajectoire ascendantes.

Un point commun de ces individus : avoir été bon élève dès l'école primaire. Si certains parents laissent à penser que leurs enfants se sont faits tout seuls, car ils se débrouillaient très bien à l'école, l'enquête montre que les parents posent la plupart du temps un cadre « stable et strict ». Même s'ils sont eux-mêmes sortis jeunes du système scolaire, ils véhiculent une croyance dans l'école, comme le moyen de changer la vie de leur descendance. (41) « Pas question en tout cas de rater la classe, de ne pas faire ses devoirs ou de se coucher tard, en passant la soirée devant la télé. »

Tout au long du livre court précisément un rapport précoce aux livres et à la lecture chez ces enfants-là. Ici encore le rôle de la mère comme stimulant est essentiel. Certains obtiennent de leurs parents, l'achat d'encyclopédies comme tout l'univers. (64)

Mais par ailleurs, dans le rapport à la culture légitime, il y a des écarts comme celui de regarder les films en version française. Ce qui peut procurer par la suite un sentiment de honte. (51) Le sentiment ou le discours critique, par exemple à l'égard, des journalistes, est rare : il n'est rencontré que dans une famille de militants communistes. (59)

L'orientation est un moment de solitude : même associés, les parents sont dans l'incapacité d'aider (95 sq.). Agnès van Zanten montre que pas plus de 20 % des élèves de milieux populaires, discutent régulièrement d'orientation sous le toit familial. Contre deux tiers des élèves issus de milieux privilégiés. (citée p. 96) «  Les transfuges de classe se cognent vite à une sorte de plafond de verre. La difficulté des études mêlée à l'apprentissage de nouveaux codes peut provoquer des dépressions et nos parents n'ont pas les moyens de comprendre ce qui nous arrive, car notre changement de classe se fait dans le silence. » (124) Une « schizophrénie sociale » qui peut s'enclencher dès la classe de seconde.

Une autre expérience commune, c'est le travail saisonnier où les petits boulots pour financer les études.

Le désir des parents que les enfants accomplissent des études est commun. Parfois il est relié à une idée de revanche. (140) Qui peut aller pour les enfants, en réussite scolaire jusqu'à un contre mépris de classe vis-à-vis des enfants de la bourgeoisie.

Le malaise engendré par la poursuite d'études va au plus profond des habitus comme par exemple à l'égard de la nourriture (175) ou bien de dépression (176). Les parents et les enfants partagent une conscience honteuse.

Le changement de références socioculturelles passe souvent par un départ géographique avec une « montée » à Paris.

Même quand on est « arrivé », on constate quand même une différence de codes : «la grande différence, c'est que moi, je suis dans le doute, eux, dans la certitude. », dit l'un d'entre eux. (199)

Et les relations avec les parents ne sont pas pour tous pacifiées : « pris dans des vents contraires, ils se mettent pour un temps plus ou moins long à haïr tout le monde : leur nouveau monde de ne pas leur donner les clés, leur milieu d'origine de les empêcher d'avancer. Des années plus tard, parents comme enfants, m'ont montré des plaies pas toujours bien refermées. » (212)

L'auteur note que les fratrie fabriquent fréquemment des transfuges de classe à la chaîne. (235). S'il indique que rien n'est dû au hasard, lui-même ne révèle pas beaucoup de ces raisons. C'est Annie Ernaux, à la lecture du livre qui relève des éléments communs au témoin : le désir de ne pas se vanter, l'acceptation sans ostentation des sacrifices pour accompagner la réussite scolaire, le rôle des mères et du goût précoce pour la lecture. (265)


« La position paradoxale dans laquelle nous sommes tenus en étau, est difficile à faire comprendre aux non-transfuges. D'un côté, ce désir d'ascension sociale, toujours altéré, par la peur d'humilier nos parents du fait de cette même ascension ; de l'autre, une inquiétude que les autres les méprisent, la rage de les défendre et de ne laisser personne les « rabaisser ». » (271)

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