Expressions de la mémoire collective ouvrière






Jean-Pierre Ostende, Le pré de Buffalo Bill: Mémoire collective de Cheminots des ateliers du Prado, Via Valériano, 1990, 127 p.






Sur un pré où venait s’installer le cirque de Buffalo Bill avant la première guerre mondiale, une usine s’est implantée comptant jusqu’à 1000 ouvrier en 1939. Il reste moins d’une centaine de ces cheminots quand en 1988 ils entreprennent de matérialiser leur mémoire. Leur premier constat est celui du « désœuvrement » et de la fin de la « communauté » (11) « Les ruptures deviendraient les plus mémorables des choses ? » (14)

Ce qui reste : la mémoire des couleurs, celle des objets, celle de la politique (le rouge).

La mémoire des dates, particulièrement celles de mouvements de grève (1951, 1967, 1968). Mais les dates suffisent, car suivant Braque, « les preuves fatiguent la vérité. » (21)

La mémoire des métiers et statuts : Manœuvre, « bon à tout et bon à rien » (26), envoyé au gré des tâches, sans fixation, à l’inverse du peintre ou du leveur, confiné dans un endroit et dans une tâche sans « aucune perspective pour accroître ses connaissances. » (26) D’ailleurs l’évocation des outils se révèle un formidable support à la remémoration. Avoir à résoudre un problème agrandit l’humanité, « sinon on était des bêtes ». (30)

Mais beaucoup de choses se sont perdues, comme les prises de parole. Et les mouvements de résistance entraînaient des punitions marquant le régime d’infantilisation de la gestion du personnel. Les plus militants étaient « parqués » (32) dans un endroit surnommé « la place rouge ». La fraternité ouvrière et militante incitait les ouvriers à prendre des congés (dans les années 60) pour faire les campagnes politiques à travers le porte à porte. « On ne le fait plus. La crise pénètre partout. » (33)

Il y a des traces écrites des luttes ou des mises à pied : les tracts signés pour les premiers, les indices de ces luttes pour les seconds par ailleurs gardés précieusement pour les générations futures. Mais des écrits plus imposants existèrent, sous la forme d’un journal, La Vigie. Il y a une tradition de lutte : « si un gars monte sur un tonneau, tout le monde s’arrête de travailler (même si c’est pour changer une ampoule). » (41) Ainsi cette bataille contre « l’agent numéro un », un ouvrier désigné pour remplacer le chef d’équipe absent Des luttes qui convoquent le drapeau tricolore et/ou le drapeau rouge. Ainsi 68 qui a été décisif (suppression de la pointeuse surnommée « la guillotine », de la toute puissance des petits chefs).

Il y a ici une idée du travail : « tu dois rentrer propre et sortir sale. Si tu sors propre, c’est que tu n’as pas travaillé. » (60) De la même façon il y a un rapport nécessaire au bruit : « le silence nous épuise. » (68) Travailler c’est faire : « former quelque chsoe, c’est formidable. » (73)

Les femmes qui travaillaient là étaient des veuves, veuves de cheminots. C’était la tradition que de les accueillir.

1981 représente au final une grande désillusion

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