Petite philosophie portative




Cynthia Fleury, Un été avec Jankélévitch, Éditions des Équateurs, 2023, 188 p.


Un ensemble de réflexions à partir de l'œuvre de Jankélévitch, avec des entrées multiples par thème. 

 
La mort
Contre l'idée que la philosophie servirait à apprendre à mourir, le philosophe explique que le mot apprendre n'a ici aucun sens. « On apprend une chose qu'on peut réitérer et qu'on fait de mieux en mieux. (…) Mais mourir, vous ne le faites qu'une fois, et la première fois est aussi la dernière. » (cité p. 22) On peut opposer l'amour et la mort : « l'amour est ineffable et la mort est indicible. Ineffable, indicible, tous les deux glacent le langage. » (cité p. 23)
La nostalgie
« La nostalgie, c'est le non-consentement à l'irréversible, au temps qui passe, et non à une époque merveilleuse qui ne serait plus. (…) C'est pour cette raison que toute conscience du temps a un peu de cette douleur au fond d'elle. » (29)
L'ennui
« Tuer le temps est une occupation indigne pour Jankélévitch. On n’assassine pas le temps on en fait quelque chose. Ceux qui s'adaptent à l'ennui sont dangereux. (...) L'ennui signe l'expérience irresponsable du temps. » (35-36)
Ironie ou humour
« Socrate, désagrège par ses questions. » (cité p. 49)
Vérité et mensonge
Deux camps s'affrontent en philosophie : « d'un côté, ceux qui croient toucher du doigt la vérité, et, de l'autre, ceux qui sont conscients de ses multiples voiles, qui perçoivent non la vérité, mais le je-ne-sais-quoi et le presque-rien. D'un côté encore, ceux qui interdisent le mensonge, car il est forcément contraire à la vérité, et surtout il est impossible de défendre l'universalité d'une morale, si elle défend le mensonge..., et de l'autre, ceux qui ne séparent pas la vérité d'une situation, d'un contexte, d'une relation à, une responsabilité ici et maintenant, non qu’ils défendent la relativité de la vérité, mais plutôt sa relation, le fait qu'elle fasse sens, si et seulement si, et dès lors l'acte acte de mentir n'est plus si aisé à dénoncer : il y a des mensonges qui sauvent les êtres et les âmes. » (53-54)
Le sérieux
« Être non conformiste, c'est de ne pas accepter la société d'abondance dans laquelle on vit maintenant, de renoncer à certains avantages, puis de faire comme on dit. Quand on est antifasciste (...) on ne passe pas ses vacances en Espagne par exemple. (...) Donc le sérieux, c'est la vie morale, tout ce qui n'est pas esthétisant, ce qui n'est pas galéjade, apparence. » (cité p. 75)
Plaisir
Contre l'idée des pseudos plaisirs qui ne durent qu'un instant, l'idée du plaisir chez Jankélévitch est quelque chose qui s'éprouve dans la durée, est donc consistant.
L'organe–obstacle
Il n'y a de morale que parce qu'il y a des apories, la morale est nécessairement du côté de l'impur, elle passe par le « malgré », le « bien que ». « C’est ce rapport invivable qui est la vie par l'effet du rapport ambivalent que l'homme entretient avec l'organe–obstacle du corps, l'existence sera une continuation aventureuse, sans cesse menacée, sans cesse reconduite de péril en péril, sans cesse rebondissant d'instant en instant ; et pourtant cette continuation, indécise, inconfortable, et si périlleuse, forme au total une existence viable. » (cité p. 97)
Le charme du je-ne-sais-quoi
Il se ressent souvent « par la négative, par le creux, le reste, ce qui échappe à la causalité linéaire, et d'ailleurs, de façon plus symptomatique, ce qui échappe au raisonnement classique, ce n'est pas simplement une émotion, mais une émotion cognitive, une émotion de la connaissance et de la conscience aiguë des choses, mais le dire, immanquablement, la ferait disparaître. Une sorte de charme, qui dit à la fois ce surplus du monde que la raison, ne parvient pas toujours à exprimer. » (130)
La volonté de vouloir
Derrière la volonté, il y a « l’élan vital, un commencement, dépassant tous les commencements factuels, quelque chose qui s'allume en nous, une lueur dans la nuit, un réveil, une conscience, l'autre nom de la liberté. Car c'est simplement cela la liberté, cette lueur, ce point–origine. » (157)
Le mal
« Le mal, c'est la complaisance de l'ego pour lui-même, pour son importante et précieuse première personne ; l'égo est la quintessence du péché, lui le vicieux en chaque vice, et le coupable, en chaque faute. Que ce soit lâcheté, vanité, mensonge ou avarice, la cause est toujours et partout la même. La conversion à la vérité, ne connaît qu'un remède : faire cesser la crampe egolâtrique qui tourne vers lui-même un ego fasciné par son nombril, faire en sorte que la triste monade redevienne amoureuse du genre humain. C'est cette ouverture à l'autre qui permet au moi mesquin, ratatiné, ennemi de lui-même, divisé d’avec lui-même, de redevenir, comme il est dit magnifiquement dans la République, ami de lui-même. » (cité p. 161)
L'aventure
C'est le choix du sérieux en toute liberté. Sa fonction : produire la lumière dans la nuit. « Si le temps est la conscience de l'irréversibilité, et d'une certaine douleur ou nostalgie liée à celle-ci, l'aventure désigne un irréversible heureux, toujours ouvert, jamais obscur, l'irréversible des commencements qui donnent l'illusion de durer : d'aventure en aventure, pour mieux éviter la tristesse, et semer le chagrin, le laisser sur place. » (165)
La liberté n'est rien… mais elle sera
« La liberté est un point évanouissant, un instant, une fine pointe de l'instant, où le pouvoir, et vouloir coïncident. C'est seulement là, dans cet instant, infinitésimal, que l'homme est libre. » (177)t

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Radiographie d'un jeu spécifique

Bernhard Schlink : La petite-fille

Lydie Salvayre : La Médaille