Alice Zeniter : Frapper l'épopée

 


Alice Zeniter, Frapper l'épopée, Flammarion, 2024 (epub), 269 p. 

 Tass vient de rentrer en Nouvelle-Calédonie, après un séjour de 10 ans en France et un échec amoureux avec Thomas. On la suit dans son rôle de professeur remplaçante enseigner L'île aux esclaves de Marivaux. La disparition de deux de ses élèves, des jumeaux, donne le prétexte et l'argument au récit une enquête sur ce peuple Kanak et son histoire. « Je ne viens pas de cette tradition (…)  J'ai en grande partie inventé Tass pour pouvoir la placer sur le bord de la rivière pour me dire que c'est elle que je regarde et c'est à elle que je parle quand je me déplace jusqu'ici. » (212) C’est en se rendant « poreuse à leurs histoires » (212), qu’elle découvre les us et coutumes locaux, qui veulent par exemple que la parole soit le fait des hommes, alors que les femmes s'occupent des choses, car ainsi, ils sont « complémentaires, disent les hommes, comme le sec et humide. » (102). Et on redécouvre avec elle que la Nouvelle-Calédonie avait été choisie par l’État français comme lieu du bagne pour les criminels de droit commun, mais aussi pour les condamnés politiques comme Louise Michel ou des kabyles s'opposant à la colonisation. Un des aïeux de Tass est précisément l'un d'eux. Il a participé à la répression des peuples Kanak parce que lui-même était raciste. L’institution pénitentiaire dans son désir de réinsérer les forçats, s'occupe de trouver des femmes. C'est ainsi que ces hommes ne s'adressent pas à une femme en particulier mais aux autorités. L'administration voulant éviter que les hommes repartent en France, en abandonnant derrière eux des femmes et des enfants, cible d'abord les candidats les plus lourdement condamnés, ceux qui ne rentreront jamais chez eux. C’est un livre sur le métissage arabe-kanak-blanc. Il a eu lieu et il continue d'agiter les vies : « elle est épuisée, elle a l'impression qu'elle vient de vivre au passé simple, qu'elle s'est conjuguée à des temps qui obligent ses pensées à se contorsionner. » (238) C'est donc aussi un livre sur l'identité, cette quête du nous : « Elle voudrait crier qu'elle n'a pas de nous, jamais jamais eu de « nous », à part papa, maman, Ju et moi et que « nous » a disparu il y a bien longtemps dans un fracas de tôles froissées » (246) C'est donc un livre qui volontairement veut résonner avec l'actualité brûlante de l'île. Il nous questionne, et en ça c'est une réussite. Par contre, dans son désir de vouloir documenter le lecteur sur l'histoire complexe de cet archipel, laquelle traverse de part en part toutes les vies, l'auteur fait un récit alambiqué, qui peut perdre le lecteur.

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