Les origines racistes du capitalisme
Dans les années 1960, Martin Luther King politise la question raciale en intriquant, exploitation, relégation, domination raciale et violence d'État. Si on a retenu de son combat la face antiraciste, il y a une autre perspective qui est celle de l'anticapitalisme. Car souvent sont dissociées les questions du capitalisme et celle des structures du racisme, alors qu'elles sont profondément liées. Historiquement, la conquête des Amériques le fut au prix de « l'esclavage de plantation et l'expropriation des individus ». « La conquête et la colonisation du Nouveau Monde fut aussi, pour l'Ancien Monde, l'accumulation première du capital, fondatrice et structurante. » (10) Colonisation, esclavage, exploitation, apparaissent donc, comme « la matrice du capitalisme ». Le terme de race peut être utilisé comme méthode de description intégrant des hiérarchies imaginés par les racistes et fonctionnant comme une donnée de l'analyse sociale (comme le terme de classe sociale est utilisé alors qu'il ne correspond pas forcément à des réalités empiriques). La race fonctionne comme « un ordre mental et social du monde » (14), c'est-à-dire une idéologie, laquelle s'impose par un régime de violence d'État particulier [appareil idéologique d'État]. Comme le capitalisme, c'est une abstraction et donc vise à « une même négation de l'histoire ». (16) La marchandise en devenant une valeur pour elle-même est réifiée. Pour Marx, l'incarnation de la mystification du capital c'est Crusoé et son récit mystificateur. Marx dévoile cette « maximisation de l'utilité sous contrainte » effectuée en Amérique avec les conquistadors. Si Marx a saisi une partie de la question raciale liée au capitalisme (liée à sa propagation initiale, à la concurrence au sein de la classe ouvrière, à l’absence de substance au principe de race), il ne traite pas de la question raciale pour elle-même. De même, « la répudiation conjuratoire du mot race après la Seconde Guerre mondiale » semble avoir sonné « l'invalidation du racisme biologique » (22), alors que l’Apartheid sévissait encore en Afrique du Sud. Il faut donc, à la suite de certains penseurs, revenir sur « le capitalisme racial.
Livre I : origines
Si des conquêtes et des occupations ont lieu avant 1492 (Irlande), « l'expansion de l'Europe et son occupation des terres saisies est sans précédent en terme d'ampleur, mais aussi de mode d'assujettissement et de dépossession. La prédation coloniale combine trois modes d'action : la suppression des autorités locales, l'installation de colons sur les meilleures terres conquises, la production d'une idéologie de justification de ces deux modes d'action. Pour tirer partie de leur conquête, les conquérants installent une exploitation sans limite des populations et des territoires passés sous leur domination. » (note 1 page 436 Jean Frédéric Schaub cité) Colomb s’élance en 1492, en étant le porteur d'une vieille histoire, celle de l'amour de l'or. Quand il débarque, il décrit ainsi les indigènes venus à sa rencontre : « ils feraient d'excellents domestiques. Avec seulement 50 hommes, nous pourrions les soumettre tous et leur faire faire tout ce que nous voulons. » (cité p. 31) Avant son arrivée aux Antilles, la population locale se comptait par centaines de milliers peut-être même 1 million. En 1514, après 25 ans de travail forcé, il demeure à peine plus de 30 000 individus. Soumis à l'extraction violente des ressources naturelles c'est cette violence disciplinaire et la négation de leur souveraineté sur leur propre corps qui provoque l'extinction des Taïnos, et non pas la variole ou la rougeole. Colomb justifie toutes les violences : l’or est une chose merveilleuse ! Qui le possède est maître de tout ce qu'il désire. Au moyen de l'or on peut même ouvrir aux âmes les portes du paradis. » « Argent, fétichisme, croissance, marché mondial, productivité, extraction et production de valeur, sont déjà des principes guidant l'invention du monde trouvé. Indéniablement, 1492 est capital. » (33)
Chapitre 1 : l'invention de l'Amérique ou le devenir-monde du capital
La découverte de l'Amérique initie le processus capitaliste dans lequel « le capital est la valeur qui, non seulement se conserve, mais encore s’accroît comme valeur, en un procès indéfiniment recommencé. » (cité page 38) Cette première étape de l'accumulation primitive se fait par « la conquête, l’asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale » (Marx) : spoliations des biens d'église, aliénation frauduleuse des domaines de l'État, pillage des terrains communaux, transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale en propriété moderne privée, guerre aux chaumières (Marx). Il y a un débat chez les marxistes entre ceux pour qui la transition du féodalisme au capitalisme est moins foncière que sociale et historiquement située dans les campagnes anglaises remembrées au XVIIe siècle, et les marxistes dissidents qui voient dans la violence extra économique antérieure la première accumulation du capital, ce que David Harvey nomme l'accumulation par dépossession et qui ne serait pas originelle ou contingente, mais primordiale. Ainsi, si les Européens sont parvenus à dominer le monde, c'est parce que 1492 a donné aux proto-capitalistes européens suffisamment de capital pour commencer la destruction des communautés proto-capitalistes concurrentes par ailleurs (James Blaut). Contre l'idée léniniste, l'impérialisme est donc un trait intrinsèque à la nature capitaliste, car il permet l'accaparement des forces productives : machines, terres, minéraux, travailleurs, animaux, savoirs et techniques. Sergio Bagu parle ainsi de capitalisme colonial comme résultant de sa nature même.
De plus, la conquête du Nouveau Monde entraîne une dévastation écologique : « dévastation écologique, hiérarchisations homme–nature et homme–« sauvages », et formation du capital, se déploient en effet de concert. » (52) Christophe Colomb parle même de civiliser le climat en défrichant.
Mais le fait le plus massif, c'est l'ethnocide : 95 % des populations présentes avant la conquête avaient disparu au début du XXe siècle siècle, soit 55 millions d'amérindiens, avec donc des dévastations agraires et botaniques : érosion des sols, pollution des eaux, perte de biodiversité. Une nouvelle loi de la valeur voit le jour, par laquelle les natures humaines et extra humaines sont au service de la productivité du travail et de la marchandise.
Chapitre 2 : naissance de la pensée raciale
Les colonisation de l'Amérique inscrivent l'esclavage des Africains comme la condition absolue de l'occupation et de l'exploitation des terres, car les populations locales étaient insuffisantes pour répondre aux exigences européennes. D'emblée s'opère donc une dévaluation raciale de certaines populations. Donc, parallèlement, à une pratique dévastatrice, intervient « un exercice réflexif d'invention politique de soi » (65). L'Europe fabrique ainsi une unité chrétienne, puis civilisationnelle en expulsant les groupes jugés parasitaires : bannissement des juifs, programme contre les maures ou les arabes agnostiques, et donc conquête du Nouveau Monde en dévaluant les populations locales et en esclavagisant les populations africaines. « L'Europe n'a pas découvert l'Amérique, mais s'est découverte elle-même. » (Hosea, Jaffe cité p. 65) Elle utilise pour cela un discours (transcendantal) déjà existant, celui du christianisme. Des bulles papales fournissent l'infrastructure morale, politique et juridique, consacrant, « le droit à conquérir, à asservir et exploiter les terres et les peuples africains, puis américains » (67) s'inscrivant ainsi dans la continuité des croisades. Ce discours promeut aussi l'évangélisation des peuples, ce qui ne les protège guère. Cette «rencontre » entre capitalisme et racisme s'aperçoit dans l'étymologie : celle du mot race est arabe et signifie « début » ou « tête ». Passé à l'espagnol lors de la conquête de la péninsule, le mot désigne alors la tête de bétail qui se dit caput en latin, et qui constitue l'étymologie du mot capitalisme. (71)
Ce qui déroule le plus Christophe Colomb, c'est la couleur de peau des indigènes : on pense alors que plus on est prêt du soleil plus on est noir alors que les indigènes d'Amérique présente la couleur de peau de paysans d'Europe basanés. Pour expliquer ce décalage, il convient d'inventer une nouvelle cosmographie. Désormais, les Amérindiens seront pensés comme une incarnation préhistorique de l'humanité. Ce qui autorisera toutes les prédations mercantiles. En effet, Christophe Colomb a cru comprendre que des hommes avaient été mordus et déchiquetés par des Caribes surnommés Canniba, et que par extension, il nommera cannibales. L'anthropophagie est unanimement réprouvée comme la marque même de l'inhumanité depuis l'Antiquité : ces groupes endosse donc la sanction universelle de bannissement. L'entreprise de domestication qui s'ensuit, passe notamment par des viols collectifs massifs. Si le cannibalisme devient un motif majeur de racisme, il est aussi une métaphore de la critique anticapitaliste quand Marx décrit la marchandisation du travail ouvrier, comme un processus par lequel le capital, travail mort, suce le sang du travail vivant, tel un vampire. Cette thématique du sang, et du sang pur (ou impur), se répand et frappe notamment les juifs, notamment les juifs convertis, car « c'est l'hérédité, et non la foi, qui définit le juif. » (81) Ainsi, l'identité de l'Espagne naît « de la matrice inquisitoriale et d'un rejet commun de la judaïté, et c'est aussi à cette époque que le mot race jusqu'alors réservé aux espèces animales commence à s'appliquer aux humains dans les années 1430–1480, spécifiquement aux populations juives ou converties. Aux juifs sont aussi reprochées la pratique de l'usure et de la banque et d'avoir inventé (à tort) la lettre de change, alors que l'occident légitime la pratique du commerce et de l'exploitation menés par les marchands chrétiens.
En 1550, Charles Quint convoque une dispute connue comme la controverse de Valladolid. Il s'agit de déterminer si la couronne espagnole a le droit de faire la guerre aux populations autochtones du Nouveau Monde et de les soumettre à la foi chrétienne. Le roi d'Espagne, Charles V suspend toute expansion tant que la question n'est pas tranchée. Le pape Paul III défend que les peuples autochtones, ignorants de l'Évangile, ne peuvent être considérés comme les ennemis de l’Église, contrairement aux musulmans et aux juifs. Les promoteurs de l'impérialisme affirment la supériorité des Européens car les autochtones ne possèdent pas l'écrit, mais des coutumes et des traditions barbares, ils ignorent le droit de propriété, souffrent d'impuretés et d'impiété. En particulier, le fait qu'ils soient nus, montre leur sauvagerie, leur proximité avec le singe et donc leur monstruosité. Ainsi inventée la figure du sauvage trace « une frontière entre la nature pure et l'humanité » (94). Mais dans cette hiérarchie, d'autres populations vont incarner une forme moins contestable de sous humanité, il s'agit des noirs.
Livre 2 : institutions
La conquête des Amériques représente une révolution qui « fait de la race une structure. » Les corps sont classifiés à des fins « d'expropriation et d'exploitation. » (99) : « la race comme rationalisation et technique de pouvoir ». (100)
Chapitre 3 : la plantation
L'implantation sucrière permet de comprendre comment la domination rationnelle c'est nouer avec le capitalisme européen. Il s'agit là d'une accumulation première de capital qui passe par l'extermination des peuples vivants sur le site de la plantation, et le remplacement par une main-d'œuvre servile venue d'Afrique. S’invente aussi une ingénierie raciale qui consiste à unir des enfants juifs convertis de force à des noirs, afin de créer une race de métisses biologiquement capable de résister au climat. Le Vatican lui-même établit une distinction entre les couleurs de peau : il ne s'agit plus d'opposer chrétiens et infidèles, mais les subsahariens aux autres, et sont privés de nom, de nation, d'appartenance ethnique, culturelle, religieuse ou tribale, et « ils ne sont plus qu'une carnation : des noirs. » (111) Le mot négro signifie « esclave par nature ». Comme la haine du juif, celle du noir marquant l'imaginaire social de l'Occident, conduit leur déshumanisation, construite « d'affects et de certitudes anthropologiques qui sont bien des racines archaïques et se poursuivent après l'abolition de l'esclavage. » (119)
Chapitre 4 : l'académie
Cette présence en Amérique fonde de nouveaux paradigmes, visibles dans une multitude de représentations fictives : de Thomas Moore à Francis bacon en passant par Montaigne. Cette révolution épistémique résonne encore au siècle des lumières avec cette manie nouvelle de classifier et nommer hommes et choses. La question de la nature humaine prend alors un nouvel essor au regard de « l'exceptionnel vivier d'espèces et de plantes » de l'Amérique. On renonce à la fixité des espèces biologiques et l'évolution différenciée des humains apparaît alors. Si l'homme est séparé de la nature, en revanche qu'est-ce qui les sépare entre eux ? « Le dualisme nature/culture eut des conséquences fondamentales sur la production d'une science de l'homme distinguant hommes et femmes, corps et esprit, civilisés et sauvages, et sans doute humains et semi-humains. » (121) Dans cette construction, l'Europe est extérieure à la nature, alors que les sauvages sont « la nature de l'homme, l'état de nature, la nature même. » Naît ici un schème de domination, et avec lui une ethnoprospection recensant et classifiant les espèces humaines et surtout les hiérarchisant. Ce racisme est donc moderne en ce qu’il prétend appliquer les apports des sciences de la nature aux être humains dans le projet d’améliorer la réalité (Z. Bauman). C’est François Bernier (1655-1688) qui le premier associe les caractéristiques physiques aux capacités morales. Les « Lumières » portent pour nombre d’entre eux ce schéma raciste : Kant, Voltaire (intéressé par les affaires comme Montesquieu, il défend la colonisation car il est actionnaire)
Chapitre 5 : La multinationale
Le capital marchand et le capital productif sont intimement liés. L'économie politique du capitalisme mercantile mondialisé est un système où l'extraction se passe dans les espaces colonisés, mais ces derniers sont aussi des marchés captifs pour les produits manufacturés de la métropole. Il y a d'ailleurs interdiction de fabriquer des marchandises conçues par la métropole afin d' interdire la concurrence. Le mercantilisme est donc « une théorie de la puissance de l'État. » (144) Ainsi, au début du XVIIe siècle naissent des entités commerciales et coloniales (comme la compagnie anglaise des Indes orientales) conciliant autorité publique et intérêts privés, qui partent à la conquête des mers et des terres, sécurisent les routes et réseaux commerciaux, et sont dotés de l'exclusivité du transport et de l'installation puis du monopole du commerce avec les territoires colonisés (145).
Chapitre 6 : le contrat colonial
Ce commerce nécessite « un système juridique formalisant les transactions de la modernité : intérêt, privé, droit de propriété, consentement et contrat », ce « contrat libre » qui constitue pour Marx, « l'illusion fondatrice du mode de relation capitaliste ». (153) Cette délégation de pouvoir à l'État, participe d’ « un idéal d'équité et de justice », mais aussi d’un processus de civilisation (Norbert Elias). Avec Locke, le contrat établit un lien entre la légitime propriété, la souveraineté et la situation coloniale avec l'idée de « mise en valeur ». C'est elle « qui établit la souveraineté sur la terre » (155), mettant en son centre l'idée de « mérite » et légitime donc l’appropriation coloniale, laquelle apporte avec elle la civilisation : autrefois, l'absence d’images et donc de religion dans les cultures amérindiennes nécessitait de les occidentaliser, dorénavant, c'est la monnaie qui joue ce rôle. « Le passage de l'économie agricole à l'économie monétarisée, signifie la transition fondamentale des communs naturels au domaine de la propriété. » (157) Comme les autres penseurs des Lumières Locke est intéressé par la colonisation puisque lui-même est propriétaire. S'il défend l'idée de contrat, celui-ci n’est que purement formel étant donné l'asymétrie des parties prenantes.
S’opère aussi une redéfinition des territoires qui donne lieu à la capitalisation des mers lesquels donnent au capitalisme une partie de son vocabulaire : liquidité, flux, flottement, circulation, mais aussi sa matière première. Elles sont « l'exemple emblématique d'une nature à bon marché, qui permet au capitalisme marchand, puis industriel de s'épanouir, grâce en particulier à cette contractualisation de la dépossession de l'outre-mer. » (162) Conjointement est élaboré un code noir sur les plantations sucrière après la première révolte documentée des esclaves en 1520 : le fils de Christophe Colomb encadre en 1622 avec ce code les populations locales avec un contrôle total puisqu'elles sont privées d'autonomie physique et morale et soumis de droit à la volonté du maître. « La flagellation publique, la torture et autres sévices sont scrupuleusement consignés et admis comme sanction pénale. » (164) Un esclave ayant fui est marqué au fer rouge (Branding, le mot signifiant aussi « marque déposée » de la marchandise capitaliste) en transformant l'esclave en animal, puisque le bétail est ainsi marqué. Le corps noir est donc possédé : le code de Caroline énonce que la mise à mort d'un esclave ne constitue pas un meurtre et qu'à la deuxième fugue, la loi requiert qu'il soit châtié par castration. Il est interdit aux africains aux mulâtres et aux indiens de se marier avec des femmes blanches, le viol des femmes par les maîtres est tacitement légalisé, puisque les naissances en découlant n'impose aucun devoir au géniteur : l'enfant esclave demeure propriété et non descendant. Si une femme blanche donne naissance à un enfant métis, elle est condamnée à payer une somme et à travaillé gratuitement cinq ans pour l’Église, l'enfant devenant esclave temporaire jusqu'à ses 30 ans.
Livre III : récits
Chapitre 7: Robinson Crusoé, la parabole du capitalisme, raciale
Ce roman, qui met en scène un individu est un miroir de l'économie politique du temps : « à partir d'un néant, l'autodidacte, ordonne l'environnement à son avantage, réalisant ainsi l'idéologie bourgeoise de l'initiative, de l'autosuffisance et de la propriété. » (174) Il est « l'archétype de l'agent calculateur et rationnel ». Comme Colomb, « il arpente, classe, répertorie, évalue, compte et énumère toutes ses possessions présentes et potentielles. » (175) Mais ce qu'il possède ne sont plus vraiment des marchandises puisqu'ils ne peut pas les échanger. Ce ne sont que des valeur d'usage. On peut voir dans le roman de Defoe, « le laboratoire de la théorie conjecturale des stades de développement » (176) : la terre inculte qu'il faut donc transformer, l'âge des chasseurs–cueilleur, puis la division du travail et l'autonomie, mais libérée des chimères mercantiles puisque l'or et l'argent sont inutiles. L'aventurier trouve son intérêt personnel dans le travail, source véritable de la valeur. Ces robinsonnades (Marx) décrivent une nature humaine qui pousse à l'accumulation et à la productivité. Mais pour Marx, il faut rehistoriciser le processus et penser une théorie de la valeur comme spoliation des terres communes. Car l'homo œconomicus des libéraux est naturalisé, effaçant la domination sociale et la violence de la société moderne. Le roman véhicule un imaginaire (nature = sauvage = danger = animal), c'est-à-dire une chaîne d'équivalence qui instaure un haut (civilisation), et un bas (barbare). Le deuxième acte inaugural de Robinson est de clôturer l’île afin de marquer sa possession : propriété = protection est une autre chaîne d'équivalence. Notons que lui aussi, avant d'être écrivain, fut marchand. Il soutenait l'entreprise coloniale, les indigènes par leur comportement « nous avaient contraint à les exterminer », disait-il. (cité p. 186) Loin de l'idéologie du self made man, le roman raconte aussi que la réussite ne tient qu'au capital présent dans le bateau, notamment les armes et la poudre. La modalité de la domination coloniale s'appréhende sous l'angle de la civilisation, à l'égard de vendredi, effectuée sous l'angle de la sujétion : il tisse des liens tels Vendredi « agisse en subalterne consentant est libre » (195), jusqu'à ce que ce dernier sache également tuer les siens. « Robinson Crusoé illustre un principe fondamental du capitalisme racial : ne concevoir, l’être dominé que sur le mode de la fongibilité, c'est-à-dire, selon la définition qu'on donne le Larousse : ce qui se dit d'un bien sans identité propre, que l'on peut, mesurer, compter ou peser, et qui peut indifféremment être échangé contre un autre bien du même genre en même quantité. » (199)
Chapitre 8 : de l'émancipation par le commerce
La nouvelle pensée économique se situe au confluent de trois espaces de savoir : les administrateurs royaux, les philosophes, les physiciens. Parmi les philosophes qui identifient l’intérêt personnel à la vertu et au commerce international, il y a d’abord Montesquieu. A rebours du Moyen Age qui « conspuait luxe, profit, intérêt personnel et goût des richesses » (201), la modernité préconise ces nouvelles valeurs, où l’auteur des lettres persanes mêle l’idée de colonisation à celle civilisation.
Mais pour Marx ce sont avant tout les physiocrates les pères de l’économie moderne, un mouvement surtout français. Il prône « la rationalisation de la puissance publique » manipulant l’économie comme une science (de la nature, comme l'étymologie de physiocrate le souligne), mais interroge l’esclavage et la colonisation « en experts et en moralistes » (208), auxquels ils s’opposent au nom des finances publiques et de l’efficacité. Ils veulent réduire l’action de l’État au nom du « laissez faire et laissez passer » (Vincent de Gournay). Ils appellent ainsi à supprimer toutes les formes de barrières douanières et impôts indirects et à moderniser le royaume par la technique et non le négoce. » (210) Ils voient aussi l'agriculture comme seule, source de richesse, dénoncent la fausse prospérité du mercantilisme, voient dans les compagnies et les monopoles des structures qui appauvrissent les colonies et les consommateurs français au profit des négociants. Ils prônent un commerce international où chacun bénéficie de l'échange. Ils sont donc les premiers théoriciens anti-impérialistes et anti-esclavagistes, défendant le travail libre contre l'esclavage à faible productivité. Mais ils sont du côté des propriétaires et donc défendent la division raciale des relations de production en contexte colonial. Pour La Rivière, intendant de la Martinique, il s'agit « de concilier le juste et l'utile. » (cité p. 214) « Un autre physiocrate, Pierre Poivre, se démarque en « fustigeant l'économie de plantation dont on sait depuis le XVIIe siècle qu’elle appauvrit le sol et détruit la forêt. » (220)
Le philosophe Hume lui aussi critique le mercantilisme et plaide, pour que les indigènes indiens soient reconnus comme des sujets de la couronne, avec des statuts et des droits, plutôt que comme des étrangers. « Se dessine ici une distinction de nature morale entre le domaine du colonial (paradigme de la conquête et de la domination associé à la quête du profit) et celui de l'impérial, c'est-à-dire l'extension vertueuse des libertés à des terres qui en sont dénuées, les principes juridiques nationaux s'appliquant à des espaces lointains, mais intégrés dans un empire de droit. » (227) Il défend la propriété, car c'est elle qui fonde les institutions civiles notamment la justice. Ceux qui l'ignorent demeurent dans l'enfance de l'histoire.
Adam Smith aussi se présente comme critique des pratiques antérieures. Il défend un capitalisme commercial, libéré et libérateur, à l'antithèse de l'expérience espagnole aux Amériques. La richesse des nations est l'un des traités anti-esclavagistes et anti-impérialistes les plus virulents de son temps mais aussi la première critique systématique du capitalisme moderne. Le maître étalon pour mesurer les figures de l'humanité est l'échange : la Chine et l'Inde seraient sorties de la barbarie, alors que l'Afrique et les tartares seraient demeurés au stade de non-civilisation. Il dénie aux sauvages une capacité de sympathie car celle-ci n'est possible que dans la mesure où les individus se sont affranchis des besoins de première nécessité. « La sympathie est indispensable à la civilité, à l'échange de marché, et donc à l’établissement d'une société commerciale libre et opulente. » (245) Son récit de la création du capital oblitère la violence originelle qui l'a constitué.
Livre IV : Praxis
Chapitre 9 : la mission civilisatrice du capitalisme
L'ère du capitalisme libéral (1815–1880) le présente, comme l'aboutissement, d'un mouvement du progrès et de la civilisation, où s’opposent désormais « le planteur à l'industriel, l'esclave au travailleur libre, la contrainte au contrat, l'exploitation brutale au profit légitime. » (256) Il apparaît comme un système d'émancipation des peuples. Dans cette perspective, la colonisation doit permettre aux indigènes de se libérer (à la condition que le commerce de marchandises humaines soit banni). Les promoteurs britanniques (Mill, Ricardo, Bentham...) promeuvent une impérialité libératrice. « La notion de souveraineté, projection à l'échelle mondiale du droit de propriété devient ainsi le moyen légal de la appropriation. » (263) Elle exclut donc les peuples barbares de la protection du droit international « tant qu'ils ne sont pas réformés et conformes à la norme libérale. » (263) Mais on peut observer au même moment une exploitation sans limite des enfants anglais dans les industries de textile, et des millions d'esclaves dans les champs de coton du Mississippi. Aussi Marx peut-il fustiger l'imposture des gouvernements et des élites libérales anglaises.
Quand l'esclavage est aboli, ce n'est rendu possible qu'avec dédommagement et compensation. Mais même Tocqueville favorable à cette abolition, suggère de limiter l'accession à la terre des esclaves émancipés, afin qu'ils restent disponibles sur les plantations, et que le coût du travail n'entrave pas la prospérité des colons.
L'expansion capitaliste au XIXe siècle repose et continue de reposer sur les terres conquises Outre-mer, car les métropoles ne peuvent produire sur leur sol toutes les ressources importées. Par exemple pour produire une quantité équivalente de laine à celle importée d'Amérique, il aurait fallu à l'Angleterre de 1830 consacrer 9,3 millions d'hectares à l'élevage de moutons, c'est-à-dire plus que le total des terres consacré à leur l'élevage et la culture, à cela s'ajoutant 6 millions d'esclaves dans les champs du sud des États-Unis, de Cuba et du Brésil, afin de produire sucre et café en abondance et donc constituant des milliers de millions d'heures de travail libérées pour les travailleurs de Grande-Bretagne. (272) De plus, les technologies et cultures locales sont interdites ou détruites, afin que structurellement les pays colonisés doivent importer l'essentiel de ses marchandises depuis la métropole, y compris le textile en Inde, alors qu'il existe une tradition multiséculaire de fabrication.
De la même façon en Algérie, ce sont les contribuables musulmans qui financent des dépenses publiques qui ne sont pas faites pour eux, c'est-à-dire l'infrastructure de leur occupation. Il s'agit donc de l'expropriation ou l'extorsion par la dette et l'indemnité, une pratique paradigmatique du capitalisme financier (Lénine). Comme en Haïti où la première République noire a payé l'équivalent de 560 millions de dollars, soit en moyenne 1 % de la création annuelle des richesses de la France. De surcroît, elle doit emprunter aux banques française la somme qu'elle doit. Rosa, Luxembourg parlera de l'impérialisme par la dette.
Chapitre 10 : l'impérialisme réhabilité
La France, comme la Grande-Bretagne présentent un paradoxe puisque se sont développées en leur sein des théories raciale modernes et pourtant c'est aussi là qu'a vu le jour une idéologie coloniale libérale, parfois hostile à l'idée de race, tel Tocqueville qui pense à l'améliorabilité des peuples. Certains pensent en France à libérer les peuples barbares de leur destin biologique. Si l'administration coloniale ne parle guère de race, la logique raciale est implicite : le musulman demeure soumis au statut d'indigène tant qu'il n'est pas naturalisé, et d'ailleurs sa conversion semble impossible tant son statut religieux semble incorporé. Les musulmans apparaissent inaptes au progrès et même dangereux. De ce point de vue, le colonialisme à prétention civilisatrice est plus générateur de racisme que la raciologie pure.
La notion de civilisation est issue du droit chrétien occidental et devient un concept juridique opérationnel du nouvel ordre institutionnel européen. L'abolition de la traite des esclaves s'inscrit dans ce processus mais la prise en compte de la propriété privée et la garantie du libre commerce permettent aussi de catégoriser les pays en civilisés, barbares ou semi barbares. Aussi l'exclusion des pays musulmans d'Afrique et d'Asie, est justifiée par leur incapacité supposée à adopter le progrès capitaliste « en raison de l'interdit coranique du prêt à intérêt et de l'autonomie individuelle. » (297) Dans la pensée allemande, on distingue les peuples d'histoire et de culture (Kulturvölker) des peuples naturels (Naturvölker). Les représentants de cette vision préconise de ne pas scolariser les Africains ni de les christianiser, mais de les éduquer par le travail. Les colonisés sont conçus comme des sous-hommes qui ne possèdent pas la valeur productive d'un ouvrier dont on assure les capacités de reproduction : « sans la valeur extraite de son travail, l'indigène n'en a aucune. » (306) Un colon allemand écrit : « c'est seulement quand l'indigène a appris à produire quelque chose de valeur au service de la race supérieure, c'est-à-dire au service du progrès de celle-ci et du sien propre, qui obtient un droit moral à exister. » (307) Si l'Allemagne perd ses colonies lors du traité de Versailles, la gloire des officiers coloniaux allemands nourrit un nationalisme racial qui se mêle à l'antisémitisme. « L'expérience africaine participe aussi d'une archéologie de la violence nazie, et bien des officiers ayant fait leurs armes dans l'administration coloniale se distingueront sous le troisième Reich » (307)
Chapitre 11. Les structures élémentaires du capitalisme racial
L'ampleur de l'emprise coloniale est évidente : les Européens dominent un peu moins d'un tiers de la planète en 1815 ; un siècle plus tard, ils en soumettent plus de 85 %. (309) Rosa Luxembourg explique que l'occupation, la destruction des modes de vie traditionnels, l'exploitation et la pollution des indigènes font partie intégrante du processus d'accumulation primitive du capital. De surcroît, la colonisation permet de « débarrasser », les métropoles des travailleurs superflus, naturellement produits par le capitalisme. Ainsi, ces hommes « déclassés et inutiles » Voient ils leur valeur et leur contribution à la nation rehaussée (Arendt) : « La société de race d'Afrique du Sud enseignant à la population la grande leçon dont celle-ci avait toujours eu la prémonition, à savoir qu'il suffit de la violence pour qu'un groupe défavorisé puisse créer une classe encore plus basse, qu'une révolution n'est pas nécessaire pour y parvenir et qu'il suffit de ce lier à certains groupes des classes dominantes, et que les peuples étrangers ou sous-développés offrent un terrain idéal pour une telle stratégie. » (Les origines du totalitarisme)
Aussi, comme l'écrit Malcolm X, « vous ne pouvez avoir le capitalisme sans le racisme. » Ce processus a des conseils conséquences sur le mouvement révolutionnaire aux États-Unis, puisque les communistes américains exclurent les peuples de couleur de leur projet. En effet, historiquement la classe ouvrière blanche occupe une place dans le capitalisme qui repose sur la subordination de la main-d'œuvre de couleur. Pour le marxiste Du Bois, il faut prendre en compte la participation des ouvriers au capitalisme colonial et à la surexploitation des peuples subordonnés. Existent donc deux prolétariats séparés en Amérique, et Du Bois refuse « de subsumer la race sous la classe. » (323)
Franz Fanon étend la réflexion sur la dépossession capitaliste à la culture, l'histoire et au corps. Au sein des colonies, l'espace est clivé, et même l'espace-temps est inégalitaire ; s’opère un travail de différenciation permanent. Aussi la question de la solidarité des damnés de la terre (colonisés et prolétariat bourgeois) est « d'autant plus épineuse que noirs et indigènes eux-mêmes ont parfois adopté le mode colonial de subjectivation. » (Fanon) « La sujétion raciale possède donc son autonomie. » (333)
Il faut aussi réfléchir sur les affinités électives entre capitalisme et judaïsme, puisque les juifs représentent à la fois la banque et le marxisme (335). Le judaïsme, comme foi et expérience, est une vocation au capitalisme : spéculation intellectuelle, abstraction, notion du risque et de l'aléa, anticipation et maîtrise du temps seraient les qualités pragmatiques d'une population plus urbaine, plus éduquée que les chrétiens et contrainte à l'exil. (Jacques Attali) Mais celui-ci produit aussi un schème universaliste, et les juifs embrassent le socialisme comme un messianisme, en particulier ceux du Bund, qui refuse la modernité capitaliste, mais aussi l'assimilation culturelle dans un marxisme universaliste abstrait.
L'antisémitisme nazi introduit les catégories coloniales au sein de la société européenne elle-même : juifs, sauvages, nègres, indigènes, « sont construits en système, comme des figures de l'étranger inassimilable. » (349) Le vieux continent fait ainsi sienne les méthodes administratives et policières appliquées en Afrique, avec un gouvernement totalitaire qui convertit les peuples en races et distingue l'une d'elle, comme la race des maîtres. Pour Hannah Arendt, le colonialisme est l'antichambre du nazisme. Cette conception Darwiniste (races, colonies) du monde irriguait une vision commune en Europe et inspire les rédacteurs des lois de Nuremberg (1935). Mais si les racines du projet nazi, plongent loin dans l'impérialisme européen et américain, il n'en demeure pas moins une singularité d'Auschwitz. Ce fut l'objet d'une pensée marxiste hétérodoxe, cherchant à expliquer le lien entre capital, race et judéocide. Qu'est-ce qui dans la pulsion civilisationnelle du capitalisme, pouvait provoquer cette pulsion mortifère, au-delà de l'aliénation du prolétaire et du travail mort ? Pour ces penseurs, cet imaginaire social de délires racistes est une actualisation des virtualités propres à la société capitaliste, puisque la modernité marchande et la quête névrotique de profit ont perverti la raison devenu désormais instrumentale (Horkheimer, Adorno, etc.). L'antisémitisme sert alors « de soupape sociale, permet de déplacer la frustration, et pérennise l'ordre existant. » (360)
Il existe donc deux modalités du racisme, car pour le noir pas de dissimulation possible contrairement aux juifs. De plus, « l'antisémite dénonce une menace par le haut (le pouvoir, la domination), là où le négrophobe craint celle venue par le bas (la population, le corps social). Pour l'antisémite, le Juif est une menace intellectuelle pour le négrophobe, le noir est une menace sexuelle. » (363) Le noir n'a aucun pouvoir sur le monde, il est le contraire de la maîtrise, il représente une unité de l'abjection et donc c’est par le lynchage que le raciste s'en débarrasse alors que l'antisémite ne conçoit qu'une foule anonyme, une force totale, et se faisant le réduit à un chiffre dont il se débarrasse par le meurtre de masse. Les juifs sont ainsi construits comme une anti-race, un principe négatif qu'il faut non pas garder, mais au contraire éradiquer.
Épilogue. Territoires
Les États-Unis d'Amérique se posent différemment de l'Angleterre ou de l'Espagne conquérants, ils se veulent sans amarre ni héritage. Leur naissance est 1776 avec la révolution. L'installation anglaise n'est donc plus une simple conquête de terre mais « l'affirmation d'une souveraineté et d'un droit à s'autodéterminer. (...) Les États-Unis réalisent le fantasme moderne de l'auto fondation. Plus encore, ils sont en affranchissement. » (372) Le continent sud-américain quant à lui a persisté dans le paradigme ancestral, en conjuguant régime autoritaire, expropriation des communautés indigènes et afro-descendantes et économie politique de la plantation. Du XVIIe au XIXe siècle, les colons se voient reconnaître rétroactivement droit de préemption, puis de propriété à condition de cultiver la terre. La population blanche installée à l'ouest des Appalaches, passe de 1 million en 1815 à 15 millions en 1865. Plus de 1 million d'hectares de terre distribuées chaque année jusqu'en 1890, puis 2,5 millions annuellement jusqu'en 1914, quadruplan le nombre d'exploitations (389). Mais le mythe se craquelle, puisque les fermiers deviennent des mineurs de charbon à chaque crise des marchés agricoles. Les fermes familiales disparaissant au profit des grandes exploitations : « constitutive de l'identité raciale aux États-Unis, la forme de la juridique de la propriété, se heurte au mouvement du capital. » (392) Ainsi, le mouvement populiste de la fin du XIXe siècle, exprime la colère populaire des fermiers du Midwest face au surendettement et à la domination des grandes entreprises ferroviaires sur l'espace et les hommes.
La race fut ainsi le langage d'une politique ethnocidaire : 16 à 18 millions vivaient sur le futur territoire des États-Unis avant la colonisation anglaise. Lorsque les 13 colonies furent réunies en union nationale afin de gagner leur indépendance, les Amérindiens ne représentaient plus que 2 millions. En 1800, ils étaient 600 000 et à la fin du XIXe siècle, 240 000. Cette proclamation d'indépendance fustige, « les sauvages indiens impitoyables dont la règle connue de la guerre est une destruction sans distinction, de tous âges, sexes et conditions. » La guerre des colons devient donc juste, comme moyen d'autodéfense. Tocqueville commente : « on ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité. » Car le droit vient codifier la violence avec 350 traités ratifiés lors des 100 premières années du pays, la plupart étant signés sous la contrainte et sans intelligibilité par les populations locales. La loi est donc une violence institutionnelle à ce capitalisme colonial qui détruisait la propriété collective de la terre et marchandisait celle-ci, réduisant à peau de chagrin l'espace de souveraineté indigène puisqu'entre 1887 et 1934, il diminua des deux tiers avec une politique d'incorporation forcée, faisant disparaître, l'indigénéité. Le commissaire aux affaires indiennes l'exprimait : « tant que vous n'aurez pas un système de propriété individuelle de la terre, vous n'aurez que sauvagerie. La propriété commune et la civilisation ne peuvent coexister. » (cité p. 400) Des enfants furent soustraits à leur famille jusque dans les années 1960 : vers 1979, on estime qu'entre un quart et un tiers des enfants indigènes auront été ainsi enlevés.
Ce capitalisme prédateur possède une valeur monétaire : en 1865, on estime que la valeur des 4 millions d'esclaves dépasse celle de l'ensemble des usines, ponts, chemins de fer et bateaux à vapeur du pays. (411) Une exploitation qui se fait aussi sur le corps des femmes chargées de la reproduction de cette main-d'œuvre, avec des viols et des accouplement en masse : on peut à cet égard, parler de bio-capitalisme où l'enfant né d'une esclave est propriété du maître et esclave perpétuel.
Et avec l'abolition, la grande majorité des noirs deviennent journaliers ou métayers donc sous la domination des propriétaires blancs. Seul le Blanc possède. Malgré cela, à la fin du 19e un quart de la population noire travaille en leur nom propre. Pourtant à la fin du XXe siècle, ils ont perdu 80 % de leur terre et représentent aujourd'hui moins de 1 % des agriculteurs américains car quand après la Seconde Guerre mondiale, l'agriculture fut massivement subventionnée, les exploitations noires du sud furent exclues des prêts d’État. Et ce sont alors de grands groupes bancaires, qui rachetèrent leur exploitation, les transformant en mégafermes industrielles détenues par des actionnaires privés. Ces populations contraintes de se prolétariser ne pouvaient non plus accéder au syndicalisme. Elles forment aussi les populations les plus importantes en prison. Aujourd'hui, le patrimoine d'une famille blanche et de 10 à 13 fois supérieur à celui d'une famille noire ou amérindienne, son espérance de vie est supérieure de 11 ans à celle un Amérindien et de 6 ans à celle d'un noir, et les noirs et indigènes furent trois fois plus nombreux à perdre leur vie à cause du COVID-19.
Livre I : origines
Si des conquêtes et des occupations ont lieu avant 1492 (Irlande), « l'expansion de l'Europe et son occupation des terres saisies est sans précédent en terme d'ampleur, mais aussi de mode d'assujettissement et de dépossession. La prédation coloniale combine trois modes d'action : la suppression des autorités locales, l'installation de colons sur les meilleures terres conquises, la production d'une idéologie de justification de ces deux modes d'action. Pour tirer partie de leur conquête, les conquérants installent une exploitation sans limite des populations et des territoires passés sous leur domination. » (note 1 page 436 Jean Frédéric Schaub cité) Colomb s’élance en 1492, en étant le porteur d'une vieille histoire, celle de l'amour de l'or. Quand il débarque, il décrit ainsi les indigènes venus à sa rencontre : « ils feraient d'excellents domestiques. Avec seulement 50 hommes, nous pourrions les soumettre tous et leur faire faire tout ce que nous voulons. » (cité p. 31) Avant son arrivée aux Antilles, la population locale se comptait par centaines de milliers peut-être même 1 million. En 1514, après 25 ans de travail forcé, il demeure à peine plus de 30 000 individus. Soumis à l'extraction violente des ressources naturelles c'est cette violence disciplinaire et la négation de leur souveraineté sur leur propre corps qui provoque l'extinction des Taïnos, et non pas la variole ou la rougeole. Colomb justifie toutes les violences : l’or est une chose merveilleuse ! Qui le possède est maître de tout ce qu'il désire. Au moyen de l'or on peut même ouvrir aux âmes les portes du paradis. » « Argent, fétichisme, croissance, marché mondial, productivité, extraction et production de valeur, sont déjà des principes guidant l'invention du monde trouvé. Indéniablement, 1492 est capital. » (33)
Chapitre 1 : l'invention de l'Amérique ou le devenir-monde du capital
La découverte de l'Amérique initie le processus capitaliste dans lequel « le capital est la valeur qui, non seulement se conserve, mais encore s’accroît comme valeur, en un procès indéfiniment recommencé. » (cité page 38) Cette première étape de l'accumulation primitive se fait par « la conquête, l’asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale » (Marx) : spoliations des biens d'église, aliénation frauduleuse des domaines de l'État, pillage des terrains communaux, transformation usurpatrice et terroriste de la propriété féodale ou même patriarcale en propriété moderne privée, guerre aux chaumières (Marx). Il y a un débat chez les marxistes entre ceux pour qui la transition du féodalisme au capitalisme est moins foncière que sociale et historiquement située dans les campagnes anglaises remembrées au XVIIe siècle, et les marxistes dissidents qui voient dans la violence extra économique antérieure la première accumulation du capital, ce que David Harvey nomme l'accumulation par dépossession et qui ne serait pas originelle ou contingente, mais primordiale. Ainsi, si les Européens sont parvenus à dominer le monde, c'est parce que 1492 a donné aux proto-capitalistes européens suffisamment de capital pour commencer la destruction des communautés proto-capitalistes concurrentes par ailleurs (James Blaut). Contre l'idée léniniste, l'impérialisme est donc un trait intrinsèque à la nature capitaliste, car il permet l'accaparement des forces productives : machines, terres, minéraux, travailleurs, animaux, savoirs et techniques. Sergio Bagu parle ainsi de capitalisme colonial comme résultant de sa nature même.
De plus, la conquête du Nouveau Monde entraîne une dévastation écologique : « dévastation écologique, hiérarchisations homme–nature et homme–« sauvages », et formation du capital, se déploient en effet de concert. » (52) Christophe Colomb parle même de civiliser le climat en défrichant.
Mais le fait le plus massif, c'est l'ethnocide : 95 % des populations présentes avant la conquête avaient disparu au début du XXe siècle siècle, soit 55 millions d'amérindiens, avec donc des dévastations agraires et botaniques : érosion des sols, pollution des eaux, perte de biodiversité. Une nouvelle loi de la valeur voit le jour, par laquelle les natures humaines et extra humaines sont au service de la productivité du travail et de la marchandise.
Chapitre 2 : naissance de la pensée raciale
Les colonisation de l'Amérique inscrivent l'esclavage des Africains comme la condition absolue de l'occupation et de l'exploitation des terres, car les populations locales étaient insuffisantes pour répondre aux exigences européennes. D'emblée s'opère donc une dévaluation raciale de certaines populations. Donc, parallèlement, à une pratique dévastatrice, intervient « un exercice réflexif d'invention politique de soi » (65). L'Europe fabrique ainsi une unité chrétienne, puis civilisationnelle en expulsant les groupes jugés parasitaires : bannissement des juifs, programme contre les maures ou les arabes agnostiques, et donc conquête du Nouveau Monde en dévaluant les populations locales et en esclavagisant les populations africaines. « L'Europe n'a pas découvert l'Amérique, mais s'est découverte elle-même. » (Hosea, Jaffe cité p. 65) Elle utilise pour cela un discours (transcendantal) déjà existant, celui du christianisme. Des bulles papales fournissent l'infrastructure morale, politique et juridique, consacrant, « le droit à conquérir, à asservir et exploiter les terres et les peuples africains, puis américains » (67) s'inscrivant ainsi dans la continuité des croisades. Ce discours promeut aussi l'évangélisation des peuples, ce qui ne les protège guère. Cette «rencontre » entre capitalisme et racisme s'aperçoit dans l'étymologie : celle du mot race est arabe et signifie « début » ou « tête ». Passé à l'espagnol lors de la conquête de la péninsule, le mot désigne alors la tête de bétail qui se dit caput en latin, et qui constitue l'étymologie du mot capitalisme. (71)
Ce qui déroule le plus Christophe Colomb, c'est la couleur de peau des indigènes : on pense alors que plus on est prêt du soleil plus on est noir alors que les indigènes d'Amérique présente la couleur de peau de paysans d'Europe basanés. Pour expliquer ce décalage, il convient d'inventer une nouvelle cosmographie. Désormais, les Amérindiens seront pensés comme une incarnation préhistorique de l'humanité. Ce qui autorisera toutes les prédations mercantiles. En effet, Christophe Colomb a cru comprendre que des hommes avaient été mordus et déchiquetés par des Caribes surnommés Canniba, et que par extension, il nommera cannibales. L'anthropophagie est unanimement réprouvée comme la marque même de l'inhumanité depuis l'Antiquité : ces groupes endosse donc la sanction universelle de bannissement. L'entreprise de domestication qui s'ensuit, passe notamment par des viols collectifs massifs. Si le cannibalisme devient un motif majeur de racisme, il est aussi une métaphore de la critique anticapitaliste quand Marx décrit la marchandisation du travail ouvrier, comme un processus par lequel le capital, travail mort, suce le sang du travail vivant, tel un vampire. Cette thématique du sang, et du sang pur (ou impur), se répand et frappe notamment les juifs, notamment les juifs convertis, car « c'est l'hérédité, et non la foi, qui définit le juif. » (81) Ainsi, l'identité de l'Espagne naît « de la matrice inquisitoriale et d'un rejet commun de la judaïté, et c'est aussi à cette époque que le mot race jusqu'alors réservé aux espèces animales commence à s'appliquer aux humains dans les années 1430–1480, spécifiquement aux populations juives ou converties. Aux juifs sont aussi reprochées la pratique de l'usure et de la banque et d'avoir inventé (à tort) la lettre de change, alors que l'occident légitime la pratique du commerce et de l'exploitation menés par les marchands chrétiens.
En 1550, Charles Quint convoque une dispute connue comme la controverse de Valladolid. Il s'agit de déterminer si la couronne espagnole a le droit de faire la guerre aux populations autochtones du Nouveau Monde et de les soumettre à la foi chrétienne. Le roi d'Espagne, Charles V suspend toute expansion tant que la question n'est pas tranchée. Le pape Paul III défend que les peuples autochtones, ignorants de l'Évangile, ne peuvent être considérés comme les ennemis de l’Église, contrairement aux musulmans et aux juifs. Les promoteurs de l'impérialisme affirment la supériorité des Européens car les autochtones ne possèdent pas l'écrit, mais des coutumes et des traditions barbares, ils ignorent le droit de propriété, souffrent d'impuretés et d'impiété. En particulier, le fait qu'ils soient nus, montre leur sauvagerie, leur proximité avec le singe et donc leur monstruosité. Ainsi inventée la figure du sauvage trace « une frontière entre la nature pure et l'humanité » (94). Mais dans cette hiérarchie, d'autres populations vont incarner une forme moins contestable de sous humanité, il s'agit des noirs.
Livre 2 : institutions
La conquête des Amériques représente une révolution qui « fait de la race une structure. » Les corps sont classifiés à des fins « d'expropriation et d'exploitation. » (99) : « la race comme rationalisation et technique de pouvoir ». (100)
Chapitre 3 : la plantation
L'implantation sucrière permet de comprendre comment la domination rationnelle c'est nouer avec le capitalisme européen. Il s'agit là d'une accumulation première de capital qui passe par l'extermination des peuples vivants sur le site de la plantation, et le remplacement par une main-d'œuvre servile venue d'Afrique. S’invente aussi une ingénierie raciale qui consiste à unir des enfants juifs convertis de force à des noirs, afin de créer une race de métisses biologiquement capable de résister au climat. Le Vatican lui-même établit une distinction entre les couleurs de peau : il ne s'agit plus d'opposer chrétiens et infidèles, mais les subsahariens aux autres, et sont privés de nom, de nation, d'appartenance ethnique, culturelle, religieuse ou tribale, et « ils ne sont plus qu'une carnation : des noirs. » (111) Le mot négro signifie « esclave par nature ». Comme la haine du juif, celle du noir marquant l'imaginaire social de l'Occident, conduit leur déshumanisation, construite « d'affects et de certitudes anthropologiques qui sont bien des racines archaïques et se poursuivent après l'abolition de l'esclavage. » (119)
Chapitre 4 : l'académie
Cette présence en Amérique fonde de nouveaux paradigmes, visibles dans une multitude de représentations fictives : de Thomas Moore à Francis bacon en passant par Montaigne. Cette révolution épistémique résonne encore au siècle des lumières avec cette manie nouvelle de classifier et nommer hommes et choses. La question de la nature humaine prend alors un nouvel essor au regard de « l'exceptionnel vivier d'espèces et de plantes » de l'Amérique. On renonce à la fixité des espèces biologiques et l'évolution différenciée des humains apparaît alors. Si l'homme est séparé de la nature, en revanche qu'est-ce qui les sépare entre eux ? « Le dualisme nature/culture eut des conséquences fondamentales sur la production d'une science de l'homme distinguant hommes et femmes, corps et esprit, civilisés et sauvages, et sans doute humains et semi-humains. » (121) Dans cette construction, l'Europe est extérieure à la nature, alors que les sauvages sont « la nature de l'homme, l'état de nature, la nature même. » Naît ici un schème de domination, et avec lui une ethnoprospection recensant et classifiant les espèces humaines et surtout les hiérarchisant. Ce racisme est donc moderne en ce qu’il prétend appliquer les apports des sciences de la nature aux être humains dans le projet d’améliorer la réalité (Z. Bauman). C’est François Bernier (1655-1688) qui le premier associe les caractéristiques physiques aux capacités morales. Les « Lumières » portent pour nombre d’entre eux ce schéma raciste : Kant, Voltaire (intéressé par les affaires comme Montesquieu, il défend la colonisation car il est actionnaire)
Chapitre 5 : La multinationale
Le capital marchand et le capital productif sont intimement liés. L'économie politique du capitalisme mercantile mondialisé est un système où l'extraction se passe dans les espaces colonisés, mais ces derniers sont aussi des marchés captifs pour les produits manufacturés de la métropole. Il y a d'ailleurs interdiction de fabriquer des marchandises conçues par la métropole afin d' interdire la concurrence. Le mercantilisme est donc « une théorie de la puissance de l'État. » (144) Ainsi, au début du XVIIe siècle naissent des entités commerciales et coloniales (comme la compagnie anglaise des Indes orientales) conciliant autorité publique et intérêts privés, qui partent à la conquête des mers et des terres, sécurisent les routes et réseaux commerciaux, et sont dotés de l'exclusivité du transport et de l'installation puis du monopole du commerce avec les territoires colonisés (145).
Chapitre 6 : le contrat colonial
Ce commerce nécessite « un système juridique formalisant les transactions de la modernité : intérêt, privé, droit de propriété, consentement et contrat », ce « contrat libre » qui constitue pour Marx, « l'illusion fondatrice du mode de relation capitaliste ». (153) Cette délégation de pouvoir à l'État, participe d’ « un idéal d'équité et de justice », mais aussi d’un processus de civilisation (Norbert Elias). Avec Locke, le contrat établit un lien entre la légitime propriété, la souveraineté et la situation coloniale avec l'idée de « mise en valeur ». C'est elle « qui établit la souveraineté sur la terre » (155), mettant en son centre l'idée de « mérite » et légitime donc l’appropriation coloniale, laquelle apporte avec elle la civilisation : autrefois, l'absence d’images et donc de religion dans les cultures amérindiennes nécessitait de les occidentaliser, dorénavant, c'est la monnaie qui joue ce rôle. « Le passage de l'économie agricole à l'économie monétarisée, signifie la transition fondamentale des communs naturels au domaine de la propriété. » (157) Comme les autres penseurs des Lumières Locke est intéressé par la colonisation puisque lui-même est propriétaire. S'il défend l'idée de contrat, celui-ci n’est que purement formel étant donné l'asymétrie des parties prenantes.
S’opère aussi une redéfinition des territoires qui donne lieu à la capitalisation des mers lesquels donnent au capitalisme une partie de son vocabulaire : liquidité, flux, flottement, circulation, mais aussi sa matière première. Elles sont « l'exemple emblématique d'une nature à bon marché, qui permet au capitalisme marchand, puis industriel de s'épanouir, grâce en particulier à cette contractualisation de la dépossession de l'outre-mer. » (162) Conjointement est élaboré un code noir sur les plantations sucrière après la première révolte documentée des esclaves en 1520 : le fils de Christophe Colomb encadre en 1622 avec ce code les populations locales avec un contrôle total puisqu'elles sont privées d'autonomie physique et morale et soumis de droit à la volonté du maître. « La flagellation publique, la torture et autres sévices sont scrupuleusement consignés et admis comme sanction pénale. » (164) Un esclave ayant fui est marqué au fer rouge (Branding, le mot signifiant aussi « marque déposée » de la marchandise capitaliste) en transformant l'esclave en animal, puisque le bétail est ainsi marqué. Le corps noir est donc possédé : le code de Caroline énonce que la mise à mort d'un esclave ne constitue pas un meurtre et qu'à la deuxième fugue, la loi requiert qu'il soit châtié par castration. Il est interdit aux africains aux mulâtres et aux indiens de se marier avec des femmes blanches, le viol des femmes par les maîtres est tacitement légalisé, puisque les naissances en découlant n'impose aucun devoir au géniteur : l'enfant esclave demeure propriété et non descendant. Si une femme blanche donne naissance à un enfant métis, elle est condamnée à payer une somme et à travaillé gratuitement cinq ans pour l’Église, l'enfant devenant esclave temporaire jusqu'à ses 30 ans.
Livre III : récits
Chapitre 7: Robinson Crusoé, la parabole du capitalisme, raciale
Ce roman, qui met en scène un individu est un miroir de l'économie politique du temps : « à partir d'un néant, l'autodidacte, ordonne l'environnement à son avantage, réalisant ainsi l'idéologie bourgeoise de l'initiative, de l'autosuffisance et de la propriété. » (174) Il est « l'archétype de l'agent calculateur et rationnel ». Comme Colomb, « il arpente, classe, répertorie, évalue, compte et énumère toutes ses possessions présentes et potentielles. » (175) Mais ce qu'il possède ne sont plus vraiment des marchandises puisqu'ils ne peut pas les échanger. Ce ne sont que des valeur d'usage. On peut voir dans le roman de Defoe, « le laboratoire de la théorie conjecturale des stades de développement » (176) : la terre inculte qu'il faut donc transformer, l'âge des chasseurs–cueilleur, puis la division du travail et l'autonomie, mais libérée des chimères mercantiles puisque l'or et l'argent sont inutiles. L'aventurier trouve son intérêt personnel dans le travail, source véritable de la valeur. Ces robinsonnades (Marx) décrivent une nature humaine qui pousse à l'accumulation et à la productivité. Mais pour Marx, il faut rehistoriciser le processus et penser une théorie de la valeur comme spoliation des terres communes. Car l'homo œconomicus des libéraux est naturalisé, effaçant la domination sociale et la violence de la société moderne. Le roman véhicule un imaginaire (nature = sauvage = danger = animal), c'est-à-dire une chaîne d'équivalence qui instaure un haut (civilisation), et un bas (barbare). Le deuxième acte inaugural de Robinson est de clôturer l’île afin de marquer sa possession : propriété = protection est une autre chaîne d'équivalence. Notons que lui aussi, avant d'être écrivain, fut marchand. Il soutenait l'entreprise coloniale, les indigènes par leur comportement « nous avaient contraint à les exterminer », disait-il. (cité p. 186) Loin de l'idéologie du self made man, le roman raconte aussi que la réussite ne tient qu'au capital présent dans le bateau, notamment les armes et la poudre. La modalité de la domination coloniale s'appréhende sous l'angle de la civilisation, à l'égard de vendredi, effectuée sous l'angle de la sujétion : il tisse des liens tels Vendredi « agisse en subalterne consentant est libre » (195), jusqu'à ce que ce dernier sache également tuer les siens. « Robinson Crusoé illustre un principe fondamental du capitalisme racial : ne concevoir, l’être dominé que sur le mode de la fongibilité, c'est-à-dire, selon la définition qu'on donne le Larousse : ce qui se dit d'un bien sans identité propre, que l'on peut, mesurer, compter ou peser, et qui peut indifféremment être échangé contre un autre bien du même genre en même quantité. » (199)
Chapitre 8 : de l'émancipation par le commerce
La nouvelle pensée économique se situe au confluent de trois espaces de savoir : les administrateurs royaux, les philosophes, les physiciens. Parmi les philosophes qui identifient l’intérêt personnel à la vertu et au commerce international, il y a d’abord Montesquieu. A rebours du Moyen Age qui « conspuait luxe, profit, intérêt personnel et goût des richesses » (201), la modernité préconise ces nouvelles valeurs, où l’auteur des lettres persanes mêle l’idée de colonisation à celle civilisation.
Mais pour Marx ce sont avant tout les physiocrates les pères de l’économie moderne, un mouvement surtout français. Il prône « la rationalisation de la puissance publique » manipulant l’économie comme une science (de la nature, comme l'étymologie de physiocrate le souligne), mais interroge l’esclavage et la colonisation « en experts et en moralistes » (208), auxquels ils s’opposent au nom des finances publiques et de l’efficacité. Ils veulent réduire l’action de l’État au nom du « laissez faire et laissez passer » (Vincent de Gournay). Ils appellent ainsi à supprimer toutes les formes de barrières douanières et impôts indirects et à moderniser le royaume par la technique et non le négoce. » (210) Ils voient aussi l'agriculture comme seule, source de richesse, dénoncent la fausse prospérité du mercantilisme, voient dans les compagnies et les monopoles des structures qui appauvrissent les colonies et les consommateurs français au profit des négociants. Ils prônent un commerce international où chacun bénéficie de l'échange. Ils sont donc les premiers théoriciens anti-impérialistes et anti-esclavagistes, défendant le travail libre contre l'esclavage à faible productivité. Mais ils sont du côté des propriétaires et donc défendent la division raciale des relations de production en contexte colonial. Pour La Rivière, intendant de la Martinique, il s'agit « de concilier le juste et l'utile. » (cité p. 214) « Un autre physiocrate, Pierre Poivre, se démarque en « fustigeant l'économie de plantation dont on sait depuis le XVIIe siècle qu’elle appauvrit le sol et détruit la forêt. » (220)
Le philosophe Hume lui aussi critique le mercantilisme et plaide, pour que les indigènes indiens soient reconnus comme des sujets de la couronne, avec des statuts et des droits, plutôt que comme des étrangers. « Se dessine ici une distinction de nature morale entre le domaine du colonial (paradigme de la conquête et de la domination associé à la quête du profit) et celui de l'impérial, c'est-à-dire l'extension vertueuse des libertés à des terres qui en sont dénuées, les principes juridiques nationaux s'appliquant à des espaces lointains, mais intégrés dans un empire de droit. » (227) Il défend la propriété, car c'est elle qui fonde les institutions civiles notamment la justice. Ceux qui l'ignorent demeurent dans l'enfance de l'histoire.
Adam Smith aussi se présente comme critique des pratiques antérieures. Il défend un capitalisme commercial, libéré et libérateur, à l'antithèse de l'expérience espagnole aux Amériques. La richesse des nations est l'un des traités anti-esclavagistes et anti-impérialistes les plus virulents de son temps mais aussi la première critique systématique du capitalisme moderne. Le maître étalon pour mesurer les figures de l'humanité est l'échange : la Chine et l'Inde seraient sorties de la barbarie, alors que l'Afrique et les tartares seraient demeurés au stade de non-civilisation. Il dénie aux sauvages une capacité de sympathie car celle-ci n'est possible que dans la mesure où les individus se sont affranchis des besoins de première nécessité. « La sympathie est indispensable à la civilité, à l'échange de marché, et donc à l’établissement d'une société commerciale libre et opulente. » (245) Son récit de la création du capital oblitère la violence originelle qui l'a constitué.
Livre IV : Praxis
Chapitre 9 : la mission civilisatrice du capitalisme
L'ère du capitalisme libéral (1815–1880) le présente, comme l'aboutissement, d'un mouvement du progrès et de la civilisation, où s’opposent désormais « le planteur à l'industriel, l'esclave au travailleur libre, la contrainte au contrat, l'exploitation brutale au profit légitime. » (256) Il apparaît comme un système d'émancipation des peuples. Dans cette perspective, la colonisation doit permettre aux indigènes de se libérer (à la condition que le commerce de marchandises humaines soit banni). Les promoteurs britanniques (Mill, Ricardo, Bentham...) promeuvent une impérialité libératrice. « La notion de souveraineté, projection à l'échelle mondiale du droit de propriété devient ainsi le moyen légal de la appropriation. » (263) Elle exclut donc les peuples barbares de la protection du droit international « tant qu'ils ne sont pas réformés et conformes à la norme libérale. » (263) Mais on peut observer au même moment une exploitation sans limite des enfants anglais dans les industries de textile, et des millions d'esclaves dans les champs de coton du Mississippi. Aussi Marx peut-il fustiger l'imposture des gouvernements et des élites libérales anglaises.
Quand l'esclavage est aboli, ce n'est rendu possible qu'avec dédommagement et compensation. Mais même Tocqueville favorable à cette abolition, suggère de limiter l'accession à la terre des esclaves émancipés, afin qu'ils restent disponibles sur les plantations, et que le coût du travail n'entrave pas la prospérité des colons.
L'expansion capitaliste au XIXe siècle repose et continue de reposer sur les terres conquises Outre-mer, car les métropoles ne peuvent produire sur leur sol toutes les ressources importées. Par exemple pour produire une quantité équivalente de laine à celle importée d'Amérique, il aurait fallu à l'Angleterre de 1830 consacrer 9,3 millions d'hectares à l'élevage de moutons, c'est-à-dire plus que le total des terres consacré à leur l'élevage et la culture, à cela s'ajoutant 6 millions d'esclaves dans les champs du sud des États-Unis, de Cuba et du Brésil, afin de produire sucre et café en abondance et donc constituant des milliers de millions d'heures de travail libérées pour les travailleurs de Grande-Bretagne. (272) De plus, les technologies et cultures locales sont interdites ou détruites, afin que structurellement les pays colonisés doivent importer l'essentiel de ses marchandises depuis la métropole, y compris le textile en Inde, alors qu'il existe une tradition multiséculaire de fabrication.
De la même façon en Algérie, ce sont les contribuables musulmans qui financent des dépenses publiques qui ne sont pas faites pour eux, c'est-à-dire l'infrastructure de leur occupation. Il s'agit donc de l'expropriation ou l'extorsion par la dette et l'indemnité, une pratique paradigmatique du capitalisme financier (Lénine). Comme en Haïti où la première République noire a payé l'équivalent de 560 millions de dollars, soit en moyenne 1 % de la création annuelle des richesses de la France. De surcroît, elle doit emprunter aux banques française la somme qu'elle doit. Rosa, Luxembourg parlera de l'impérialisme par la dette.
Chapitre 10 : l'impérialisme réhabilité
La France, comme la Grande-Bretagne présentent un paradoxe puisque se sont développées en leur sein des théories raciale modernes et pourtant c'est aussi là qu'a vu le jour une idéologie coloniale libérale, parfois hostile à l'idée de race, tel Tocqueville qui pense à l'améliorabilité des peuples. Certains pensent en France à libérer les peuples barbares de leur destin biologique. Si l'administration coloniale ne parle guère de race, la logique raciale est implicite : le musulman demeure soumis au statut d'indigène tant qu'il n'est pas naturalisé, et d'ailleurs sa conversion semble impossible tant son statut religieux semble incorporé. Les musulmans apparaissent inaptes au progrès et même dangereux. De ce point de vue, le colonialisme à prétention civilisatrice est plus générateur de racisme que la raciologie pure.
La notion de civilisation est issue du droit chrétien occidental et devient un concept juridique opérationnel du nouvel ordre institutionnel européen. L'abolition de la traite des esclaves s'inscrit dans ce processus mais la prise en compte de la propriété privée et la garantie du libre commerce permettent aussi de catégoriser les pays en civilisés, barbares ou semi barbares. Aussi l'exclusion des pays musulmans d'Afrique et d'Asie, est justifiée par leur incapacité supposée à adopter le progrès capitaliste « en raison de l'interdit coranique du prêt à intérêt et de l'autonomie individuelle. » (297) Dans la pensée allemande, on distingue les peuples d'histoire et de culture (Kulturvölker) des peuples naturels (Naturvölker). Les représentants de cette vision préconise de ne pas scolariser les Africains ni de les christianiser, mais de les éduquer par le travail. Les colonisés sont conçus comme des sous-hommes qui ne possèdent pas la valeur productive d'un ouvrier dont on assure les capacités de reproduction : « sans la valeur extraite de son travail, l'indigène n'en a aucune. » (306) Un colon allemand écrit : « c'est seulement quand l'indigène a appris à produire quelque chose de valeur au service de la race supérieure, c'est-à-dire au service du progrès de celle-ci et du sien propre, qui obtient un droit moral à exister. » (307) Si l'Allemagne perd ses colonies lors du traité de Versailles, la gloire des officiers coloniaux allemands nourrit un nationalisme racial qui se mêle à l'antisémitisme. « L'expérience africaine participe aussi d'une archéologie de la violence nazie, et bien des officiers ayant fait leurs armes dans l'administration coloniale se distingueront sous le troisième Reich » (307)
Chapitre 11. Les structures élémentaires du capitalisme racial
L'ampleur de l'emprise coloniale est évidente : les Européens dominent un peu moins d'un tiers de la planète en 1815 ; un siècle plus tard, ils en soumettent plus de 85 %. (309) Rosa Luxembourg explique que l'occupation, la destruction des modes de vie traditionnels, l'exploitation et la pollution des indigènes font partie intégrante du processus d'accumulation primitive du capital. De surcroît, la colonisation permet de « débarrasser », les métropoles des travailleurs superflus, naturellement produits par le capitalisme. Ainsi, ces hommes « déclassés et inutiles » Voient ils leur valeur et leur contribution à la nation rehaussée (Arendt) : « La société de race d'Afrique du Sud enseignant à la population la grande leçon dont celle-ci avait toujours eu la prémonition, à savoir qu'il suffit de la violence pour qu'un groupe défavorisé puisse créer une classe encore plus basse, qu'une révolution n'est pas nécessaire pour y parvenir et qu'il suffit de ce lier à certains groupes des classes dominantes, et que les peuples étrangers ou sous-développés offrent un terrain idéal pour une telle stratégie. » (Les origines du totalitarisme)
Aussi, comme l'écrit Malcolm X, « vous ne pouvez avoir le capitalisme sans le racisme. » Ce processus a des conseils conséquences sur le mouvement révolutionnaire aux États-Unis, puisque les communistes américains exclurent les peuples de couleur de leur projet. En effet, historiquement la classe ouvrière blanche occupe une place dans le capitalisme qui repose sur la subordination de la main-d'œuvre de couleur. Pour le marxiste Du Bois, il faut prendre en compte la participation des ouvriers au capitalisme colonial et à la surexploitation des peuples subordonnés. Existent donc deux prolétariats séparés en Amérique, et Du Bois refuse « de subsumer la race sous la classe. » (323)
Franz Fanon étend la réflexion sur la dépossession capitaliste à la culture, l'histoire et au corps. Au sein des colonies, l'espace est clivé, et même l'espace-temps est inégalitaire ; s’opère un travail de différenciation permanent. Aussi la question de la solidarité des damnés de la terre (colonisés et prolétariat bourgeois) est « d'autant plus épineuse que noirs et indigènes eux-mêmes ont parfois adopté le mode colonial de subjectivation. » (Fanon) « La sujétion raciale possède donc son autonomie. » (333)
Il faut aussi réfléchir sur les affinités électives entre capitalisme et judaïsme, puisque les juifs représentent à la fois la banque et le marxisme (335). Le judaïsme, comme foi et expérience, est une vocation au capitalisme : spéculation intellectuelle, abstraction, notion du risque et de l'aléa, anticipation et maîtrise du temps seraient les qualités pragmatiques d'une population plus urbaine, plus éduquée que les chrétiens et contrainte à l'exil. (Jacques Attali) Mais celui-ci produit aussi un schème universaliste, et les juifs embrassent le socialisme comme un messianisme, en particulier ceux du Bund, qui refuse la modernité capitaliste, mais aussi l'assimilation culturelle dans un marxisme universaliste abstrait.
L'antisémitisme nazi introduit les catégories coloniales au sein de la société européenne elle-même : juifs, sauvages, nègres, indigènes, « sont construits en système, comme des figures de l'étranger inassimilable. » (349) Le vieux continent fait ainsi sienne les méthodes administratives et policières appliquées en Afrique, avec un gouvernement totalitaire qui convertit les peuples en races et distingue l'une d'elle, comme la race des maîtres. Pour Hannah Arendt, le colonialisme est l'antichambre du nazisme. Cette conception Darwiniste (races, colonies) du monde irriguait une vision commune en Europe et inspire les rédacteurs des lois de Nuremberg (1935). Mais si les racines du projet nazi, plongent loin dans l'impérialisme européen et américain, il n'en demeure pas moins une singularité d'Auschwitz. Ce fut l'objet d'une pensée marxiste hétérodoxe, cherchant à expliquer le lien entre capital, race et judéocide. Qu'est-ce qui dans la pulsion civilisationnelle du capitalisme, pouvait provoquer cette pulsion mortifère, au-delà de l'aliénation du prolétaire et du travail mort ? Pour ces penseurs, cet imaginaire social de délires racistes est une actualisation des virtualités propres à la société capitaliste, puisque la modernité marchande et la quête névrotique de profit ont perverti la raison devenu désormais instrumentale (Horkheimer, Adorno, etc.). L'antisémitisme sert alors « de soupape sociale, permet de déplacer la frustration, et pérennise l'ordre existant. » (360)
Il existe donc deux modalités du racisme, car pour le noir pas de dissimulation possible contrairement aux juifs. De plus, « l'antisémite dénonce une menace par le haut (le pouvoir, la domination), là où le négrophobe craint celle venue par le bas (la population, le corps social). Pour l'antisémite, le Juif est une menace intellectuelle pour le négrophobe, le noir est une menace sexuelle. » (363) Le noir n'a aucun pouvoir sur le monde, il est le contraire de la maîtrise, il représente une unité de l'abjection et donc c’est par le lynchage que le raciste s'en débarrasse alors que l'antisémite ne conçoit qu'une foule anonyme, une force totale, et se faisant le réduit à un chiffre dont il se débarrasse par le meurtre de masse. Les juifs sont ainsi construits comme une anti-race, un principe négatif qu'il faut non pas garder, mais au contraire éradiquer.
Épilogue. Territoires
Les États-Unis d'Amérique se posent différemment de l'Angleterre ou de l'Espagne conquérants, ils se veulent sans amarre ni héritage. Leur naissance est 1776 avec la révolution. L'installation anglaise n'est donc plus une simple conquête de terre mais « l'affirmation d'une souveraineté et d'un droit à s'autodéterminer. (...) Les États-Unis réalisent le fantasme moderne de l'auto fondation. Plus encore, ils sont en affranchissement. » (372) Le continent sud-américain quant à lui a persisté dans le paradigme ancestral, en conjuguant régime autoritaire, expropriation des communautés indigènes et afro-descendantes et économie politique de la plantation. Du XVIIe au XIXe siècle, les colons se voient reconnaître rétroactivement droit de préemption, puis de propriété à condition de cultiver la terre. La population blanche installée à l'ouest des Appalaches, passe de 1 million en 1815 à 15 millions en 1865. Plus de 1 million d'hectares de terre distribuées chaque année jusqu'en 1890, puis 2,5 millions annuellement jusqu'en 1914, quadruplan le nombre d'exploitations (389). Mais le mythe se craquelle, puisque les fermiers deviennent des mineurs de charbon à chaque crise des marchés agricoles. Les fermes familiales disparaissant au profit des grandes exploitations : « constitutive de l'identité raciale aux États-Unis, la forme de la juridique de la propriété, se heurte au mouvement du capital. » (392) Ainsi, le mouvement populiste de la fin du XIXe siècle, exprime la colère populaire des fermiers du Midwest face au surendettement et à la domination des grandes entreprises ferroviaires sur l'espace et les hommes.
La race fut ainsi le langage d'une politique ethnocidaire : 16 à 18 millions vivaient sur le futur territoire des États-Unis avant la colonisation anglaise. Lorsque les 13 colonies furent réunies en union nationale afin de gagner leur indépendance, les Amérindiens ne représentaient plus que 2 millions. En 1800, ils étaient 600 000 et à la fin du XIXe siècle, 240 000. Cette proclamation d'indépendance fustige, « les sauvages indiens impitoyables dont la règle connue de la guerre est une destruction sans distinction, de tous âges, sexes et conditions. » La guerre des colons devient donc juste, comme moyen d'autodéfense. Tocqueville commente : « on ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité. » Car le droit vient codifier la violence avec 350 traités ratifiés lors des 100 premières années du pays, la plupart étant signés sous la contrainte et sans intelligibilité par les populations locales. La loi est donc une violence institutionnelle à ce capitalisme colonial qui détruisait la propriété collective de la terre et marchandisait celle-ci, réduisant à peau de chagrin l'espace de souveraineté indigène puisqu'entre 1887 et 1934, il diminua des deux tiers avec une politique d'incorporation forcée, faisant disparaître, l'indigénéité. Le commissaire aux affaires indiennes l'exprimait : « tant que vous n'aurez pas un système de propriété individuelle de la terre, vous n'aurez que sauvagerie. La propriété commune et la civilisation ne peuvent coexister. » (cité p. 400) Des enfants furent soustraits à leur famille jusque dans les années 1960 : vers 1979, on estime qu'entre un quart et un tiers des enfants indigènes auront été ainsi enlevés.
Ce capitalisme prédateur possède une valeur monétaire : en 1865, on estime que la valeur des 4 millions d'esclaves dépasse celle de l'ensemble des usines, ponts, chemins de fer et bateaux à vapeur du pays. (411) Une exploitation qui se fait aussi sur le corps des femmes chargées de la reproduction de cette main-d'œuvre, avec des viols et des accouplement en masse : on peut à cet égard, parler de bio-capitalisme où l'enfant né d'une esclave est propriété du maître et esclave perpétuel.
Et avec l'abolition, la grande majorité des noirs deviennent journaliers ou métayers donc sous la domination des propriétaires blancs. Seul le Blanc possède. Malgré cela, à la fin du 19e un quart de la population noire travaille en leur nom propre. Pourtant à la fin du XXe siècle, ils ont perdu 80 % de leur terre et représentent aujourd'hui moins de 1 % des agriculteurs américains car quand après la Seconde Guerre mondiale, l'agriculture fut massivement subventionnée, les exploitations noires du sud furent exclues des prêts d’État. Et ce sont alors de grands groupes bancaires, qui rachetèrent leur exploitation, les transformant en mégafermes industrielles détenues par des actionnaires privés. Ces populations contraintes de se prolétariser ne pouvaient non plus accéder au syndicalisme. Elles forment aussi les populations les plus importantes en prison. Aujourd'hui, le patrimoine d'une famille blanche et de 10 à 13 fois supérieur à celui d'une famille noire ou amérindienne, son espérance de vie est supérieure de 11 ans à celle un Amérindien et de 6 ans à celle d'un noir, et les noirs et indigènes furent trois fois plus nombreux à perdre leur vie à cause du COVID-19.
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