David Joy : Les deux visages du monde

 


David Joy Les deux visages du monde, Éditions Sonatine, 337 pages (epub)


C’est en suivant la mécanique éprouvée du polar où deux enquêtes sont menées en parallèle (le meurtre de Toya une jeune artiste afro-américaine d’un côté, l’agression d’un policier de l’autre) que ce récit se déroule. D’ailleurs plus roman noir que polar car la volonté de dépeindre une certaine Amérique, blanche, rurale, traditionaliste, est prégnante. Peinture en effet car la description des paysages et des atmosphères n’est pas pour rien dans cette capacité à restituer les enjeux sociaux propres à certains groupes. Ici des nostalgiques des confédérés unis dans le Ku-Klux-Klan s’indignent qu’une jeune femme veuille ternir l’image des glorieux ancêtres en s’attaquant aux symboles statuaires qui les représentent. Il peut affleurer au sein même du groupe « conservateur « des différences d’appréciation :
« La préservation du passé est loin d’être aussi importante que ce vers quoi nous tendons. La fierté compte moins que le pouvoir.
- On préserve pas le passé et d’ici peu on aura plus rien sur quoi s’appuyer. » (90) 

Mais au final, l’auteur semble indiquer que le partage d’une vision ancrée dans ce culte d’un passé indéfini est largement répandu. Le shérif est lui même porteur de cette ambivalence : dans son enquête il croise régulièrement la grand-mère de l’artiste activiste qu’il connaît bien pour avoir côtoyé de près son défunt mari. Il partage avec elle tant de souvenirs. « Quand arriva le moment de partir, Coggins n’était plus dans le même état second qu’une heure plus tôt. Bien sûr rien n’avait changé. Son cerveau avait seulement trouvé un nouveau moyen d’avoir un peu de baume au cœur. Le monde ne s’en écroulait pas moins et, au matin, ça le rattraperait. » (100)
En toile de fond la peinture d’une société américaine en proie avec ses divisions entre suprématistes blancs et populations noires, mais dans une approche non-schématique. D’abord parce que l’écriture laisse la place à de beaux moments descriptions des paysages et des lumières qui disent l’attachement au territoire. Ensuite parce que la résolution de l’enquête dévoile l’action meurtrière de celui qui est censé représenter la loi, le shérif : c’est lui a tué la jeune femme alors qu’il est historiquement proche de sa famille. Mais il n’accepte pas que la petite fille de ces concitoyens-amis vienne dévoiler une réalité qu’il ne veut pas voir : la collègue qui vient constater sa mort de la main même de la grand-mère repense « aux excuses qu’il a présentées. Elle pense aux mensonges qu’il s’est racontés jusqu’à la fin et elle sait pertinemment qu’il y a cru. Il était trop aveugle pour voir que ce n’était pas ce que la jeune femme avait fait, mais bien les questions qu’elle avait soulevées et sa propre incapacité à y faire face ou à y répondre. Il y a avait dans ce monde des gens qui jouissaient de tant de privilèges que l’idée de souffrir la moindre gêne, ne serait-ce qu’une seconde, les traumatisait. Il était doux. Il était aussi fragile qu’une truite. Et c’était pour cela que la colère s’était emparée de lui aussi facilement. » (336)

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