Articles

Affichage des articles du septembre, 2024

Petite philosophie portative

Image
Cynthia Fleury, Un été avec Jankélévitch , Éditions des Équateurs, 2023, 188 p. Un ensemble de réflexions à partir de l'œuvre de Jankélévitch, avec des entrées multiples par thème.    La mort Contre l'idée que la philosophie servirait à apprendre à mourir, le philosophe explique que le mot apprendre n'a ici aucun sens. « On apprend une chose qu'on peut réitérer et qu'on fait de mieux en mieux. (…) Mais mourir, vous ne le faites qu'une fois, et la première fois est aussi la dernière. » (cité p. 22) On peut opposer l'amour et la mort : « l'amour est ineffable et la mort est indicible. Ineffable, indicible, tous les deux glacent le langage. » (cité p. 23) La nostalgie « La nostalgie, c'est le non-consentement à l'irréversible, au temps qui passe, et non à une époque merveilleuse qui ne serait plus. (…) C'est pour cette raison que toute conscience du temps a un peu de cette douleur au fond d'elle. » (29) L'ennui « Tuer le temps est une o

Henri Troyat : L’araigne

Image
Henri Troyat, L’araigne , Plon, 1938, 173 p. (epub) Tout porte à voir le comportement de Gérard comme méprisable : manipulateur, pervers, égoïste, il semble exercer son diktat masculin sur ses trois sœur et sa veuve de mère : « - Tu estimes que ta mission est de caser tes trois filles, au plus vite dans les bras, dans les lits qui s'ouvrent ! - Gérard ! - Il baissait le ton jusqu'au sifflement : tu les lâches comme du lest, sans te demander où elles tomberont ! Il sentait qu'il passait la mesure, et cependant une folie méchante, le poussait à la torturer : tu prépares le malheur de tes enfants, avec le sourire béat, d'une bonne commerçante ! » (31) S’est-il arrogé les pleins pouvoirs après la mort du père, on peut le supputer, mais en vérité on ne le sait pas. On le voit exercer sa tyrannie au quotidien. Sa hantise : que ses sœurs, « dont il eut aimé plier à sa guise les destinées » s’éloignent de lui. Aussi la question de leurs amours et mariages devient-elle centrale

Expressions de la mémoire collective ouvrière

Image
Jean-Pierre Ostende, Le pré de Buffalo Bill: Mémoire collective de Cheminots des ateliers du Prado , Via Valériano, 1990, 127 p. Sur un pré où venait s’installer le cirque de Buffalo Bill avant la première guerre mondiale, une usine s’est implantée comptant jusqu’à 1000 ouvrier en 1939. Il reste moins d’une centaine de ces cheminots quand en 1988 ils entreprennent de matérialiser leur mémoire. Leur premier constat est celui du « désœuvrement » et de la fin de la « communauté » (11) « Les ruptures deviendraient les plus mémorables des choses ? » (14) Ce qui reste : la mémoire des couleurs, celle des objets, celle de la politique (le rouge). La mémoire des dates, particulièrement celles de mouvements de grève (1951, 1967, 1968). Mais les dates suffisent, car suivant Braque, « les preuves fatiguent la vérité. » (21) La mémoire des métiers et statuts : Manœuvre, « bon à tout et bon à rien » (26), envoyé au gré des tâches, sans fixation, à l’inverse du peintre ou du leveur, confin

Le travail précaire

Image
  Daniel Martinez, Carnets d’un intérimaire , Agone, 160 p., 2003 Ce récit court entre les années 1994 et 1998. À cheval donc sur la cohabitation Balladur–Mitterrand, puis celle entre Chirac et Jospin. Il n'est en fait pas indifférent de situer la politique dans cette histoire, car l'auteur y fait référence pour exprimer son ras-le-bol de toutes les politiques à l'égard des ouvriers et du maintien, année après année, dans la précarité, celle-là même qu'il raconte tout au long de ces pages. En particulier, il dénonce la soumission de la gauche à l'ordre économique dominant, son renoncement à changer quoi que ce soit, son indifférence pour les plus faibles. Il décrit dans le détail les tâches qu'il a accomplir comme intérimaire. Ce statut est précaire, dans toutes ses dimensions : les conditions de travail où l'insécurité est constante, faute de matériel approprié (les gants, les chaussures) ; les droits et les salaires inférieurs à ceux des

Franck Courtès : À pied d'œuvre

Image
 Franck Courtès, À pied d'œuvre , Gallimard, 2023, 164 p. (epub)  Il s'agit d'une auto-fiction. L'auteur photographe déclassé par l'apparition du numérique décide de changer d'expression artistique et de devenir écrivain. Bien qu’obtenant un certain succès dans cette entreprise (ventes, médiatisation, prix littéraire), ce travail ne lui permet pas de subvenir à ses besoins. C'est alors qu'il entreprend mille métiers. Ce livre est le récit de tous ces petits boulots et statuts précaires exercés dans le champ du travail manuel dont l'existence a été renforcée par l'apparition de plateformes permettant d'ubériser le travail : faire le ménage, déblayer les gravats, faire le taxi, aider les personnes, travailler dans le bâtiment, etc. Le premier point fort du récit réside précisément dans le détail de toutes ces activités, une approche quasi documentaire – où il n’est pas vraiment question de « style » littéraire -  sur une certaine réalité monde