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Affichage des articles du juillet, 2024

Franz Kafka : Le procès

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  Franz Kafka, Le procès , Gallimar d, 1987 (1933), 3 7 8 p.  Joseph K est accusé, mais le lecteur ignore de quoi, et il l’ignorera jusqu’au bout. Mais ce n’est pas une intrigue au sens habituel du roman. Plutôt une errance, dans un monde étouffant et absurde. Joseph doit se défendre, avec notamment l’aide un avocat, mais sans savoir contre qui et contre quoi. Cet anonymat de la procédure est symbolisé par la figure des policiers qui remplissent une fonction, obéir aux ordres, sans qu’eux-mêmes n’apparaissent à proprement parler « inhumains », mais ils ne font « qu’exécuter », jusqu’à le faire de manière littérale à la toute fin du récit. Eux aussi donc sont pris dans cette grande machine inquiétante, inquiétante parce que non décrite, inquiétante parce que non posée comme telle. A travers ces mécanismes animés par des humains, on peut voir le symbole du ou des pouvoirs et des machineries bureaucratiques. Dans ces rouages, tout n’est qu’impuis...

Le métier de sociologue

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  Luc Boltanski & Arnaud Esquerre & Jeanne Lazarus, Comment s'invente la sociologie. Parcours, expériences et pratiques croisés , Flammarion, 2024, 448 p. Sous la forme d'entretiens, trois sociologues livrent leurs conceptions du métier à travers leur parcours, les laboratoires fréquentés, les travaux effectués, l'animation des cours ou la transmission du savoir-faire sociologique. Ils reviennent aussi sur les contenus sociologiques du métier : l'enquête, l'écriture, les concepts, les comparaisons. Et enfin les manières dont la sociologie s'insère dans la société. Boltanski le dit : « la recherche, c'est un peu comme le cinéma ou le théâtre, c'est un travail d'équipe, de bande. » (24) Ce qui a changé au sein des laboratoires depuis des années 60, c'est qu'il y a beaucoup moins de monde pour accompagner les recherches. À l'époque les chercheurs effectuaient très peu de tâches administratives. Il n'y avait pas ...

Un témoignage sur le travail précaire

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  Anonyme, Moi, Anthony, ouvrier d'aujourd'hui, Le Seuil, 2014, 71 p.     Il s'agit d'un témoignage d'un jeune qui abandonne les études alors qu'il est en seconde et qu'il a 16 ans. S'ouvre alors à lui, une période qu'il pense temporaire de petits boulots : distribution de prospectus, barman, vendeur, etc. les choses se stabilisent un petit peu si l'on peut dire avec l’obtention du CACES, le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité. C'est grâce à lui qu'il travaille comme cariste dans le domaine de la logistique au sein des grands entrepôts. Mais une promesse comme il le dit qui s'avère décevante : travail de nuit, physique, mal rémunéré, et surtout souvent en CDD. Les mots sont forts pour décrire le sentiment qu'il a d'être un esclave. Souvent il démissionne car il ne résiste pas à la pression physique du travail. Cet itinéraire est somme toute déprimant, et pourtant on y lit aussi la solidarité : celle de sa copin...

La fabrication historique du sexe

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  Michel Foucault, Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir, Gallimard, 1976, 211 p. I Nous autres, victoriens Au début du XVIIe siècle, une certaine franchise dans le langage s'exerçait encore, les codes du grossiers et de l'obscène étaient encore bien lâches. À partir de là, un circuit de la répression se met en place, et pour ce qui est de la sexualité, la maison close (mais on pourrait en dire autant pour les fous et les maisons de santé) devient le lieu où s'exercent des formes de liberté, en dehors du circuit de la répression. « Si le sexe est réprimé avec tant de rigueur, c'est qu'il est incompatible avec une mise au travail général et intensive. » (12) Évoquer cette répression, c'est transgresser le discours dominant et donc le pouvoir. « Il s'agit en somme d'interroger le cas d'une société qui, depuis plus d'un siècle siècle, se fustige bruyamment de son hypocrisie, parle avec prolixité de son propre silence, s'acharne à dé...

Patrice Jean : L'homme surnuméraire

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  Patrice Jean, L'homme surnuméraire , Éditions Rue Fromentin, 2017, 263 p.  (epub)   Un livre sur les vies médiocres ou la médiocrité de la vie. Dire cela c’est se poser en surplomb comme juge de la vie en général ou de la vie de certains en particulier. Et c’est aussi pointer une époque déprimante et déprimée au sein de laquelle n’existent plus que des individus auto-centrés sur leur moi et donc leur malheur. Dans cette perspective ce roman s’inscrit dans cette littérature contemporaine peu réjouissante, qui privilégie la mise en scène des petites bourgeoisies lettrées. Car de Lettres il en est beaucoup question dans cette histoire gigogne, avec des références tous azimuts aux écrivains, philosophes, sociologues, etc. Un livre plutôt savant donc. Mais qui se lit non sans plaisir. D’abord parce qu’il est bien écrit. Et qu’il est vivant. Puis à cause de cette trouvaille d’insérer le roman que comme lecteur nous sommes en train de lire dans… le roman que nous lisons. Il y ...

Ce qu'est devenu le service public en France

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  Julie Gervais & Claire Lemercier & Willy Pelletier, La valeur du service public , La Découverte, 2021, 480 p.  La noblesse d'État d'aujourd'hui souscrit à l’idée de modernisation. C'est une noblesse managériale publique–privée. Cette idéologie est née en juin 2007, avec la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) qui conduit « à une compression inédite du périmètre de l'État, assortie d'une caporalisation à l'intérieur des services publics. » (11) Les carrières dépendent de plus en plus des supérieurs hiérarchiques avec entre autres, la généralisation des entretiens d'évaluation, et des primes de résultat. Cette réforme a été faite sans les fonctionnaires, élaborée par des consultants privés. La Modernisation de l'Action Publique (MAP) accélère la dématérialisation via la transition numérique, et met aussi fin aux commissions administratives paritaires et permet le recours de manière considérable au contrat. A par...

Le métier de bibliothécaire

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  Michel Melot, La Sagesse du Bibliothécaire , L’Oeil neuf, 2004, 110 p. « Le bibliothécaire aime les livres comme le marin aime la mer. Il n'est pas nécessairement bon nageur, mais il sait naviguer et il sait que ce n'est pas à la nage qu'on va le plus loin. » (5) Un grand lecteur est une personne qui lit au cours de sa vie 10 000 ouvrages au mieux, 3000 pour les électeurs cultivés, ceux qui lisent un livre par semaine pendant 50 ans. Alors que l'édition française produit 40 000 titres par an (les Britanniques 100 000, les Espagnols, 50000). Le bibliothécaire n'ignore pas cette disproportion, qu'il essaye de canaliser, de filtrer pour distribuer aux lecteurs un savoir potable. Bien sûr, tous les livres ne sont pas faits pour être lus de la première à la dernière page. La plupart des ouvrages ne sont que consultés ou feuilletés. Dans cette production, sans doute beaucoup de livres inutiles. À ce sujet, il faut se souvenir de la phrase du sultan ...